par Sarah Marsh

BERLIN, 21 juillet (Reuters) - "Kinder statt Inder" (des enfants plutôt que des Indiens): c'était il y a dix ans le slogan de la CDU, le parti d'Angela Merkel.

Aujourd'hui, confrontée au vieillissement de sa population et à un manque de main d'oeuvre, l'Allemagne apprend à accueillir chaleureusement les immigrés en développant une "culture de l'accueil".

Un revirement politique que ressentent plus particulièrement les immigrés les plus récents, tel Ata Ucertas. Ce médecin originaire d'Istanbul dit avoir été accueilli à bras ouverts lorsqu'il est arrivé en Allemagne cette année.

Avantagé par la pénurie de médecins dans le pays, le jeune homme de 25 ans s'est vu remettre un visa pour venir apprendre l'allemand seulement deux mois après avoir déposé son dossier. "Les responsables de l'immigration ont vraiment été sympas avec moi", dit-il.

Après avoir longtemps considéré les millions d'habitants d'origine turque présents en Allemagne comme un poids pour la société, la classe politique cherche aujourd'hui plus que jamais à attirer l'immigration.

Aujourd'hui, 20% de la population et un tiers des élèves scolarisés ont des proches issus de l'immigration, une part de plus en plus importante de l'électorat.

"L'Allemagne fait beaucoup d'efforts pour promouvoir l'immigration du fait de la gravité de sa situation démographique, qui aura des conséquences plus importantes que dans tout autre pays de l'OCDE", analyse Thomas Liebig, expert à l'OCDE.

Alors que le taux de chômage avoisine son plus bas niveau depuis la réunification en 1990, l'Allemagne devrait connaître une pénurie de 5,4 millions de travailleurs qualifiés d'ici 2025.

"Les débats actuels sur la 'culture de l'accueil' font partie d'un processus plus général qui consiste à faire de l'Allemagne un pays pour lequel l'immigration est quelque chose de normal", ajoute Thomas Liebig.

"REVOLUTION DOUCE"

L'Allemagne a longtemps été connue pour les obstacles administratifs et pour son attitude peu engageante à l'égard de l'immigration économique.

Les centaines de milliers de travailleurs dits "invités" (Gastarbeiter) recrutés en Italie, en Grèce et en Turquie dans les années 1960 pour reconstruire le pays après la Seconde Guerre mondiale n'ont de fait pas été incités à s'intégrer et à apprendre l'allemand.

Redoutant une poussée du chômage dans les années 1970 pendant la crise pétrolière, puis au moment de la réunification, l'Allemagne a fermé de plus en plus ses portes aux étrangers, tout en tentant de rapatrier les travailleurs immigrés déjà présents.

Aujourd'hui, Berlin change son fusil d'épaule et assouplit le gel des embauches de travailleurs étrangers, privilégiant dans un premier temps la main d'oeuvre qualifiée.

Tant et si bien qu'elle est l'un des 34 Etats de l'OCDE où la législation sur l'immigration est devenue la plus libérale.

A titre d'exemple, le gouvernement a abandonné ce mois-ci 40% de ses règles d'immigration, levant les obstacles pour les travailleurs moyennement qualifiés dans les secteurs économiques en tension.

"Cette petite révolution est passée largement inaperçue", constate Thomas Liebig, de l'OCDE.

Pour attirer la main d'oeuvre étrangère, Berlin s'attaque à la barrière de la langue en développant les cours d'allemand à l'étranger et en facilitant la reconnaissance des qualifications acquises à l'étranger, de telle façon que les médecins n'aient plus à travailler comme chauffeurs de taxi.

Pourtant, beaucoup d'immigrés de la génération des "travailleurs invités" et leurs familles se sentent toujours indésirables. C'est particulièrement vrai pour les non Européens, qui se sentent victimes de discriminations raciales.

Si la place de l'extrême-droite est relativement faible sur le plan politique, les points de vue xénophobes font partie intégrante des débats.

Selon les Nations unies, l'Allemagne a tardé à s'attaquer aux discriminations à l'oeuvre dans des secteurs comme le logement, entraînant la création de ghettos d'immigrés. Ces derniers sont également toujours sous-représentés en politique ainsi que dans la police et les médias.

Après la libéralisation de l'immigration enclenchée au début des années 2000 par l'ancien chancelier Gerhard Schröder, Angela Merkel doit à présent s'efforcer de convaincre les conservateurs, traditionnellement moins favorables à l'immigration.

Parmi les efforts qui ont été déployés, la "Charte de la diversité" signée en 2006 par quatre groupes privés semble avoir porté ses fruits, et compte aujourd'hui 1.500 signataires. (Avec Andreas Rinke; Hélène Duvigneau pour le service français, édité par Pascal Liétout)