par Thierry Lévêque

Contre l'avis du parquet, qui avait requis sa relaxe en juin, l'ancien chef d'entreprise emblématique des années 1990 a été reconnu coupable de "diffusion d'informations fausses ou trompeuses aux marchés et abus de biens sociaux" par le tribunal correctionnel de Paris.

Les juges, qui le qualifient de "prestidigitateur de dettes", considèrent qu'il a trompé le public et les actionnaires sur l'état financier réel de VU, groupe qu'il dirigeait et dont à l'époque il disait qu'il allait "mieux que bien" alors que les créanciers étaient à ses portes.

Le tribunal retient en outre contre lui le fait d'avoir voulu obtenir sans l'avis préalable du conseil d'administration un "parachute doré" de 18,6 millions d'euros, qualifié d'"abus de biens social" par le tribunal.

Même s'il a perdu la bataille pour recevoir cette somme, elle a été provisionnée dans les comptes de la société et il y a donc bien eu préjudice, disent les juges. L'ex-patron est relaxé en revanche sur l'accusation de manipulation de cours.

Jean-Marie Messier, 54 ans, va faire appel. "J'ai toujours dirigé ce groupe avec intégrité et donc cette condamnation est profondément injuste. Je souhaite défendre non seulement mon honneur mais je me dois de rétablir la vérité", écrit-il dans un communiqué.

Didier Cornardeau, représentant des petits actionnaires qui étaient parties civiles, a quitté le tribunal triomphant, les bras en l'air. "Les chefs d'entreprise qui commettent des délits doivent être lourdement sanctionnés. M. Messier, condamné aujourd'hui, a détruit Vivendi-Universal", a-t-il dit.

"J6M"

Le tribunal a ordonné l'indemnisation par les condamnés de dizaines de petits actionnaires, pour un montant total de 1,2 million d'euros. Le cours de Vivendi Universal avait fortement chuté en 2002.

Les parties civiles critiquaient le soutien du parquet à Jean-Marie Messier qu'elles attribuaient à sa proximité avec le pouvoir actuel. Il a travaillé dans les années 1980 au cabinet d'Edouard Balladur, mentor de Nicolas Sarkozy.

Parmi les autres prévenus, Edgar Bronfman Jr, directeur général de Warner Music, est condamné à quinze mois de prison avec sursis et cinq millions d'euros d'amende pour délit d'initié. Ce dernier a également décidé de faire appel, a dit son défenseur, Thierry Marembert.

Guillaume Hannezo, ancien directeur financier de la société, est condamné à quinze mois de prison avec sursis. Eric Licoys, ex-directeur général de Vivendi-Universal, est condamné à six mois de prison avec sursis. Trois autres ex-dirigeants de Vivendi sont relaxés.

Partie civile, la société Vivendi ne demandait pas de réparation à ses anciens dirigeants. En janvier dernier aux Etats-Unis, un jury populaire a retenu sa responsabilité, écartant celle de Jean-Marie Messier, pour des faits d'information fausse, à la suite d'une procédure en nom collectif (class action). La procédure se poursuit.

Jean-Marie Messier avait transformé entre 1996 et 2002 la Compagnie générale des eaux en éphémère géant mondial de la communication, avec notamment le rachat de Canal+ et du groupe canadien Seagram, qui contrôlait le studio de cinéma Universal. Le groupe a fini étranglé par les dettes et les pertes.

Jean-Marie Messier, surnommé ironiquement au temps de sa gloire "J6M" ("Jean-Marie-Messier-moi-même-maître-du-monde"), avait exprimé des regrets et déploré au début du procès sa propre "arrogance".

Il contestait cependant tout délit, disait avoir agi de bonne foi et estimait avoir été victime du contexte économique de 2002. Au plan administratif en France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a déjà sanctionné Vivendi et Jean-Marie Messier de la même amende de 500.000 euros.

Édité par Gilles Trequesser