C’est l’histoire d’un professeur d’anglais qui est devenu le deuxième homme le plus riche de Chine. L’histoire d’un petit garçon de Hangzhou, aux manières peu communes, qui était devenu trop puissant, trop dérangeant. L’histoire d’un business qui devait signer la plus grande entrée en bourse de tous les temps, et qui s’est révélé le plus vaste tollé de ce début du 21ème siècle. 

Prévue début novembre et avalisée en amont par les autorités de régulation, l’introduction d’Ant group, dont la souscription aux actions s’est élevée à 37 milliards de dollars, a été retardée par les autorités chinoises, entraînant panique sur les marchés asiatiques et ribambelle de remboursements en cascade. Du jamais vu. 

Il se murmure que les sphères économiques et politiques chinoises avaient l’entreprise financière dans le viseur depuis plusieurs mois. Une menace que Jack Ma et son associé Joseph Tsai, les fondateurs d’Ant group et d’Alibaba n’auraient pas pris au sérieux. 

Entre les pratiques singulières de son fondateur (qui s’était présenté à son pot de départ d’Alibaba en rock star, portant des lunettes de soleil et des perles violettes dans les cheveux), l’hégémonie dangereuse de son application mobile Alipay sur les paiements numériques (au détriment des banques établies, très contraintes par la régulation) et ses ambitions démesurées de “devenir la plus grande banque de Chine”, Ant Group posait déjà problème. 

C'était sans compter sur le discours sulfureux prononcé par Jack Ma en octobre à Shanghai, qui fustigeait à tout-va le système, les banques, les régulateurs, le pays et sa mentalité arriérée de prêteur sur gage. Critique cinglante jugée inacceptable par Pékin et les autorités de régulation. 

Dès lors, Jack Ma ne serait plus le bienvenu parmi les puissants hommes d’affaires chinois, ni parmi les cadres du parti. Les langues se délient et se répandent sur les carences de l’homme : ne disposant pas de connaissances, ni techniques ni en matière de développement de produit, ni même d’un niveau d’anglais suffisant. 

Depuis, pleuvent aussi les nouvelles règles censées s’appliquer aux fintechs dans l’Empire du Milieu. Également présent sur le marché des crédits, par exemple, le groupe de Jack Ma  jouissait jusqu’à maintenant d’un confortable statut d’intermédiaire entre emprunteurs et institutions bancaires. C'est terminé, les plateformes digitales devront désormais fournir au moins 30 % du financement de leurs prêts, et Ant group de disposer d’un tiers des 271 milliards de dollars d’encours de crédits accordés à ses clients. 

Voilà qui devrait obliger l’entreprise à revoir son business model, le rapprochant de celui des banques traditionnelles, et entamer copieusement sa valeur. Si l’IPO est officiellement retardée de quelques mois, les observateurs s’accordent pour dire que ce délai pourrait être largement allongé. 

A vouloir voler trop près du soleil, on y laisse parfois des plumes.