* Une centaine de cas repérés ces dernières années

* "La police est le reflet de la société", dit un policier

* Une cinquantaine de cas au sein de l'armée

par Gérard Bon

PARIS, 12 janvier (Reuters) - Le gouvernement français surveille de près les cas de radicalisation islamiste au sein des ministères de l'Intérieur, de la Justice et de Défense, où certains fonctionnaires peuvent constituer une menace pour la sécurité publique.

Une centaine de cas ont été repérés ces dernières années dans les ministères régaliens par les services spécialisés, selon une source proche du dossier, soulignant toutefois que le phénomène reste marginal à ce stade.

Dans un rapport parlementaire publié fin juin, le directeur du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD, ex-DPSD), le général Jean-François Hogard, faisait état d'une "cinquantaine de dossiers de radicalisation" de militaires suivis "en priorité" par ses services.

Selon une note révélée mercredi dans le livre sur les failles du renseignement "Où sont passés nos espions ?", 17 cas de policiers radicalisés ont été recensés entre 2012 et 2015 dans les rangs de la police de proximité de l'agglomération parisienne.

"Un collègue travaillant sur ces radicalisés n'a qu'une crainte : qu'un fonctionnaire radicalisé tue des collègues dans un commissariat", témoigne une source d'un service de renseignement sous couvert de l'anonymat.

La radicalisation de membres de la police nationale est un sujet sensible, "car être radicalisé n'est pas une infraction en soi", ajoute-t-il. "On ne peut pas démettre les suspects de leurs fonctions comme ça".

REFLET DE LA SOCIÉTÉ

Au ministère de l'Intérieur, c'est le Renseignement territorial qui a pour mission d'identifier et de surveiller les suspects à la suite de dénonciations émanant de leur hiérarchie ou de collègues alertés par leur comportement.

"Le fonctionnaire aura pour mission de s'assurer de la véracité des faits et du facteur de radicalisation puis de dangerosité, en relation avec l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)", ajoute la source.

Si une infraction pénale est constatée, comme la tenue de propos contre la police ou la République en public ou sur les réseaux sociaux, le dossier est transmis à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour une enquête judiciaire.

Parallèlement, le suspect fait l'objet d'une enquête administrative pour manquement au code de déontologie et s'expose à des sanctions pouvant aller jusqu'à la révocation.

"La police est le reflet de la société. Nous avons des collègues musulmans qui jeûnent durant le ramadan, ce qui peut occasionner des malaises ou un aménagement du travail, et nous sommes confrontés à un fort communautarisme", dit un policier.

Selon les auteurs de "Où sont passés les espions ?", le phénomène s'est accéléré depuis 2014, les radicalisés sont "jeunes, entrés dans la police au milieu des années 2000 et issus d'un concours interne, nombre d'entre eux étant d'anciens adjoints de sécurité, les emplois jeunes de la police".

EVITER LA STIGMATISATION

Le fait que certains n'arrivent pas à monter dans la hiérarchie pourrait expliquer leur ressentiment et leur radicalisation, souligne la source du renseignement.

Mohammed Merah, le djihadiste qui a tué sept personnes en mars 2012, avait ainsi rejoint un point d'information de la légion étrangère à Toulouse. Il avait dormi sur place mais en était reparti sans passer les tests de présélection.

"Cet échec avec l'armée, plus que la prison, lui donne le sentiment qu'il n'aura définitivement pas sa place dans la société française", avait expliqué son avocat.

Plus récemment, en juillet 2015, un "ancien militaire réformé de la marine nationale" avait été arrêté alors qu'il fomentait un attentat à la base militaire du Fort Béar, dans les Pyrénées-Orientales.

Le nombre de soldats radicalisés évolue en permanence, soulignaient les auteurs d'un rapport parlementaire publié fin juin, la DRSD recevant des signalements qu'elle traite par des opérations de renseignement de durée variable, "les investigations se menant systématiquement à charge et à décharge".

Pour le général Hogard, le traitement "des signalements doit être prudent, car il faut éviter de stigmatiser certaines personnes, faute de quoi on risque de les pousser dans les bras de l'ennemi".

Après les attentats de janvier 2015, la DRSD a obtenu 65 personnels supplémentaires en renfort, mais les recrutements sont longs et il faut entre huit ou neuf mois aux nouvelles recrues pour s'insérer pleinement. (avec Marine Pennetier, édité par Yves Clarisse)