PARIS (Reuters) - Le Rassemblement national (RN) est arrivé en tête dimanche du premier tour des élections législatives, devançant le "Nouveau Front populaire" (NFP) et le camp présidentiel dans un scrutin dont l'enjeu politique revêt un caractère inédit dans l'histoire de la Ve République.

Selon des estimations, le RN obtiendrait entre 33,2% à 33,5% des voix, devant la nouvelle alliance de gauche du NFP (28,1% à 29,1%) et la liste présidentielle "Ensemble" (21% à 22,1%).

Il faudra attendre le second tour du scrutin, le 7 juillet, pour savoir si le RN obtiendra la majorité absolue à l'Assemblée nationale, ce qui pourrait porter le président du parti, Jordan Bardella, âgé de 28 ans, à Matignon.

Les sondages estiment pour l'heure le nombre de sièges du RN entre 250 et 300 sièges à l'issue du second tour - la majorité absolue est fixée à 289 - mais ces estimations ne prennent pas en compte les stratégies électorales qui seront menées d'ici là pour faire barrage à la formation d'extrême droite.

La mobilisation exceptionnelle des Français - le taux de participation est estimé entre 65% et 67,5% contre 47,5% en 2022 - se traduit par un nombre important de "triangulaires" au second tour.

Les sondeurs Ipsos et Elabe estiment respectivement le nombre de circonscriptions qui pourraient être concernées entre 285 à 315 et entre 290 à 320.

A gauche, Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise (LFI), a indiqué que le NFP retirerait ses candidats parvenus en troisième position au second tour lorsque le RN est arrivé en tête.

"Conformément à nos principes, nulle part nous ne permettrons au RN de l'emporter", a-t-il déclaré dans un discours à l'issue des résultats. "Notre consigne est claire : pas une voix, pas un siège de plus pour le RN".

Dans le camp présidentiel, la liste Ensemble a donné dans un communiqué la même consigne de désistement à ses candidats arrivés en troisième position "au profit de candidats en mesure de battre le Rassemblement national".

Le Premier ministre Gabriel Attal, qui mène la campagne de la majorité sortante, s'est exprimé par la suite depuis l'Hôtel de Matignon.

"La lecon de ce soir est que l'extrême droite est aux portes du pouvoir", a-t-il dit, appelant à empêcher le RN d'avoir une majorité absolue et de pouvoir déployer son "projet funeste".

"Pas une voix ne doit aller au RN", a ajouté Gabriel Attal. "L'enjeu de ce second tour, c'est de priver l'extrême-droite d'une majorité absolue en construisant une Assemblée où nous pèserons suffisament pour bâtir entre forces républicaines des majorités de projets et d'idées".

En geste de rassemblement, le Premier ministre a décidé de suspendre la mise en oeuvre de la réforme de l'assurance-chômage dont la parution du décret était prévue ce lundi, a fait savoir son entourage. "Cette réforme pourra ainsi faire l'objet d'aménagements, de discussions entre forces républicaines", est-il ajouté.

Le président Emmanuel Macron s'est pour sa part exprimé dans une déclaration écrite dès la publication des premières estimations de résultats.

"Face au Rassemblement national, l'heure est à un large rassemblement clairement démocrate et républicain pour le second tour", a estimé le chef de l'Etat, qui devrait selon plusieurs médias tenir une réunion stratégique lundi à l'Elysée.

RISQUE DE BLOCAGE

L'annonce choc début juin d'Emmanuel Macron de dissoudre l'Assemblée nationale a provoqué un bouleversement rapide et une polarisation accrue du paysage politique français, et plongé le pays dans l'incertitude.

Une arrivée au pouvoir de l'extrême-droite serait inédite dans l'histoire de la Ve République et marquerait une première cohabitation depuis celle entre Lionel Jospin et Jacques Chirac entre 1997 et 2002.

Jordan Bardella a toutefois prévenu qu'il n'acceptera le poste de Premier ministre que si son parti détient la majorité absolue, ce que les sondages ne lui garantissent pas pour le moment.

Le risque d'une Assemblée bloquée, sans possibilité d'alliance entre des camps très polarisés, est réel, un scénario qui plongerait la France dans l'inconnu.

Organisée à la hâte, la campagne électorale du premier tour des législatives a vu les différents camps s'opposer notamment sur le pouvoir d'achat et l'immigration.

Les programmes économiques très dispendieux du RN et du NFP ont par ailleurs suscité les craintes des investisseurs sur la trajectoire des finances publiques - même si le RN a défendu une posture de raison budgétaire.

Le parti eurosceptique, qui ne prône plus une sortie de la France de l'Union européenne, reste néanmoins très critique envers Bruxelles - il entend sortir du marché européen de l'électricité et réduire la participation du pays au budget commun -, ce qui pourrait fragiliser la position de Paris au sein des Vingt-Sept.

 

(Rédigé par Blandine Hénault, avec la contribution de John Cotton, Benjamin Mallet et Claude Chendjou)

par Blandine Henault