(Reuters) - Une victoire de l'alliance de gauche aux élections législatives en France prévues les 30 juin et 7 juillet pourrait représenter un risque plus important que celle de l'extrême droite aux yeux des investisseurs en France, estiment certains analystes.

La décision surprise du président Emmanuel Macron de convoquer ces élections anticipées et le fait que le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, un parti placé à l'extrême droite, soit en tête des intentions de vote, ont exacerbé les inquiétudes sur la situation budgétaire de la France.

L'écart de taux entre le Bund allemand et l'OAT à dix ans s'est creusé, tandis que les actions des banques et des entreprises françaises sur le CAC 40 ont chuté dans les jours qui ont suivi l'annonce de ce scrutin. La baisse s'est depuis atténuée sans que les actifs financiers retrouvent pour autant leurs niveaux d'avant l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale.

Quelques jours après cette annonce choc, l'alliance de gauche, réunie sous l'étiquette du "Nouveau Front populaire" - et que les sondages placent en deuxième position derrière le RN - a dévoilé un programme économique dont les projets de dépenses ont suscité des inquiétudes accrues au niveau budgétaire.

Ainsi, des résultats meilleurs que prévu pour le "Nouveau Front populaire" - qui réunit La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste français (PCF) et Europe Ecologie-Les Verts (EELV) - ou même la participation de cette alliance à un nouveau gouvernement constituent pour certains investisseurs et analystes une plus grande source d'inquiétude sur les marchés financiers.

"Le pire résultat pour le marché serait que la gauche obtienne la majorité (...) c'est le risque extrême", a déclaré Gareth Hill, gestionnaire de portefeuille chez Royal London Asset Management.

Le "Nouveau Front populaire" a chiffré la semaine dernière à 125 milliards d'euros pour 2024-2025 le coût de son programme économique, qui prévoit de porter le Smic à 1.600 euros nets par mois, une augmentation de 10% des salaires des fonctionnaires cette année, ainsi que l'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans, contre 64 ans actuellement.

Selon l'alliance de gauche, ces dépenses seraient entièrement compensées par des hausses de l'impôt sur les successions, sur la fortune et sur les multinationales.

Alors que le déficit public de la France a atteint 5,5% du produit intérieur brut (PIB) en 2023, Eric Coquerel, député sortant de La France insoumise (LFI) a reconnu la semaine dernière que ce déficit budgétaire ne serait pas réduit si sa coalition parvenait à former un gouvernement.

C'est une source d'inquiétude pour les investisseurs car le déficit est déjà au-delà de la limite de 3% fixée par l'Union européenne, ce qui a conduit la Commission européenne à ouvrir la semaine dernière une procédure pour déficits publics excessifs contre la France.

En comparaison, le RN a promis de mettre fin à la "déraison budgétaire" du gouvernement actuel et s'est engagé à réaliser un audit des finances publiques. Le référent RN sur les questions financières, Jean-Philippe Tanguy, a déclaré à Reuters, dans une interview publiée lundi, que son parti mettrait fin à des décennies de déficits publics importants et respecterait les règles financières européennes.

Même s'il faut encore confronter ces engagements à l'épreuve du pouvoir, le fait que le RN parle au moins de responsabilité budgétaire est "rassurant", a souligné Gareth Hill de Royal London Asset Management.

IMPACT SUR L'EURO

Reste que certains projets du RN effrayent aussi les marchés en raison de leurs coûts jugés élevés. Il s'agit notamment du projet de réduire la TVA sur les énergies et le carburant et d'abroger la réforme des retraites en établissant notamment un âge de départ à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler avant l'âge de 20 ans et cotisé 40 annuités.

Le RN soutient que ses projets peuvent être financés par la réduction des formalités administratives, la suppression des niches fiscales et la baisse des dépenses sociales en faveur des immigrés.

Les économistes de Nomura notent toutefois une préférence des marchés financiers pour le parti d'extrême droite dans un choix entre le RN et le "Nouveau Front populaire".

"Selon nous, la formation d'un gouvernement par le 'Nouveau Front populaire', dans le cadre d'une majorité absolue ou relative, serait très néfaste pour les marchés financiers et entraînerait un nouvel élargissement des écarts entre les obligations françaises et allemandes", ont-ils écrit dans une note. Ils soulignent aussi que cela aurait un impact négatif pour l'euro.

"A bien des égards, le 'Nouveau Front populaire' rejette ouvertement les institutions qui régissent la prudence budgétaire, un peu comme Liz Truss au Royaume-Uni", écrit Nomura, faisant référence aux réductions d'impôts non financées de l'ancienne Première ministre britannique, ce qui avait provoqué des turbulences sur les marchés obligataires en 2022.

Les économistes de la banque d'investissement Jefferies ont déclaré qu'un gouvernement de gauche serait le "pire résultat" pour les marchés s'il était le fruit du succès du parti de Jean-Luc Mélenchon et s'il conduisait à l'application d'un programme politique d'extrême gauche.

"Nous pourrions assister à des affrontements accrus avec l'UE", écrit Jefferies, qui s'attend à ce que l'écart de taux entre la France et l'Allemagne - actuellement d'environ 70 points de base - s'élargisse jusqu'à 120 points de base. Une telle hypothèse est jugée probable de 20% à 25% par l'intermédiaire.

"La réaction négative du marché pourrait durer plus longtemps et il n'est pas certain pour nous que ce scénario soit compatible avec une stratégie 'buy the dip'", écrit encore Jefferies, faisant référence au fait d'acheter un actif lorsque le prix a baissé. Une position que Jefferies recommande pour la plupart des autres hypothèses, y compris celle d'une majorité absolue pour le RN.

(Reportage Yoruk Bahceli, avec la contribution de Leigh Thomas, version française Claude Chendjou, édité par Blandine Hénault)

par Yoruk Bahceli