par Suadad al-Salhy

BAGDAD, 14 janvier (Reuters) - L'Irak s'efforce de mieux contrôler sa frontière avec la Syrie, alarmé par l'activisme de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) qui cherche à bâtir un califat ignorant une limite tracée naguère par les colonisateurs.

Le gouvernement de Bagdad a déployé des troupes équipées de nouvelles armes de fabrication russe et américaine pour tenter de couper les lignes de ravitaillement des djihadistes. Mais comme les forces américaines s'en sont aperçues avant lui, la tâche relève quasiment de l'impossible.

La guerre civile en Syrie, qui a exacerbé les tensions religieuses au Proche-Orient et le conflit entre chiites et sunnites, un paysage désertique favorable aux contrebandiers et aux groupes armés, ne sont que deux des obstacles que Bagdad doit surmonter pour parvenir à maîtriser ces 600 km de frontière.

Une autre difficulté tient aux liens tribaux qui transcendent la ligne de démarcation, par-delà laquelle des Irakiens envoient régulièrement vivres et armes à leurs parents syriens. Certains, comme d'autres nomades du désert ailleurs, ne reconnaissent pas la frontière.

Enfin, la méfiance des populations sunnites vis-à-vis du gouvernement chiite de Nouri al Maliki affaiblit encore l'autorité du pouvoir central.

"Il est impossible de contrôler cette partie de la frontière irakienne", tranche Moustafa Alani, analyste au groupe de réflexion Gulf Research Centre en référence aux provinces d'Anbar et de Ninive, plus au nord.

"Même les Américains n'ont pas réussi", dit-il, en évoquant l'occupation des Etats-Unis en Irak (2003-2011).

VILLES MIXTES

Nouri al Maliki assure que l'action récente des forces frontalières a permis de réduire le passage des djihadistes, des armes ainsi que des marchandises de contrebande.

"Mais nous n'avons pas été capables de fermer tous les points de passage qu'ils peuvent infiltrer en raison de conditions environnementales et géographiques difficiles", a admis cette semaine le Premier ministre dans une interview à Reuters.

"Il y a aussi des villes-frontières qui sont à moitié irakiennes, à moitié syriennes et leurs tribus ont des connexions familiales, ils sont cousins", a-t-il dit.

La frontière irako-syrienne, tracée dans les années 1920 par les puissances coloniales française et britannique à partir des restes de l'empire ottoman, n'est pratiquement plus qu'une ligne sur une carte.

Deux grands points de passage frontaliers séparent l'Irak de la Syrie, l'un dans la province d'Anbar, l'autre dans celle de Ninive, gardés par des murs anti-explosion, des barbelés et des miradors.

Mais beaucoup d'autres postes frontaliers ne sont que des petits bâtiments d'un étage qui ne comptent qu'une demi-douzaine de gardes, des postes qui peuvent être distants entre eux d'une dizaine de kilomètres et dont les gardiens ne disposent que d'armes légères et d'un unique véhicule, disent des responsables de la sécurité.

NOUVELLES ARMES

Collines et grottes ont fait de la région d'Anbar un havre pour les contrebandiers depuis des générations, et pour les activistes armés plus récemment.

Personne ne doute que des combattants sunnites franchissent la frontière dans les deux sens. Certains chiites vont également se battre en Syrie aux côtés des forces de Bachar al Assad, même si le gouvernement, dit Maliki, "refuse toute implication dans le conflit". "Ni armes, ni fournitures, ni combattants", dit-il.

"Nous voulons séparer les deux frontières, car chacune nourrit l'autre", explique un haut responsable de la sécurité à Bagdad.

Les forces irakiennes ont utilisé pour la première fois des hélicoptères russes Mi-35 ainsi que des avions de combat et des missiles américains Hellfire fournis par les Etats-Unis après une visite de Nouri al Maliki à Washington en novembre dernier.

Ces nouvelles armes, ainsi que des moyens d'imagerie par satellite et d'autres outils de renseignement américains, ont donné aux autorités irakiennes de nouvelles capacités pour combattre un ennemi jusqu'ici insaisissable.

"Quand nous aurons coupé ces fonds et ce soutien en bloquant la route qui relie l'Irak à la Syrie, Al Qaïda sera fini en Syrie, comme il sera fini en Irak", veut croire le responsable de la sécurité. (Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser)