* Abdallah est le premier chef d'Etat à rendre visite à Sissi

* Il a reçu Sissi dans son avion sur l'aéroport du Caire

* L'Arabie saoudite a promis des milliards de dollars d'aide économique

* Elle veut tourner la page du "printemps arabe", former un front sunnite face à l'Iran (Actualisé, précisions sur la rencontre)

LE CAIRE, 20 juin (Reuters) - Le roi Abdallah d'Arabie saoudite a fait une brève escale vendredi soir au Caire pour afficher son soutien au nouveau président égyptien Abdel Fattah al Sissi, dont il veut faire son allié dans la lutte contre les Frères musulmans et l'influence iranienne.

Ryad, qui a affiché dès le premier jour sa défiance envers les révoltes du "printemps arabe", a volé au secours de l'Egypte après le renversement du président islamiste Mohamed Morsi l'été dernier par l'armée, dont Abdel Fattah al Sissi était à l'époque le chef d'état-major.

Le roi Abdallah, qui a 90 ans et se déplace rarement à l'étranger, a atterri dans la soirée au Caire en provenance du Maroc. Il est le premier chef d'Etat à se rendre en Egypte depuis l'élection du nouveau président le mois dernier.

Le souverain n'a pas quitté son avion qui est resté un peu plus d'une heure à l'aéroport. Le président Sissi et sa délégation, qui comprenait notamment le Premier ministre Ibrahim Mahleb, ainsi que les ministres de la Défense et des Finances, sont montés à bord et se sont entretenus avec le monarque pendant plus d'une demi-heure.

L'agence de presse égyptienne Mena précise que les discussions ont porté sur la situation en Irak, en Syrie et en Libye et sur la nécessité d'une approche commune et d'une bonne coordination entre les deux pays face aux défis dans la région.

"L'Egypte a plus que jamais besoin de nous", déclarait le souverain wahhabite dans les minutes qui ont suivi la proclamation du triomphe électoral d'Abdel Fattah al Sissi, le 3 juin.

Appelant les Égyptiens à se détourner de l'"étrange chaos" provoqué par les soulèvements de 2011, le monarque avait souhaité la tenue d'une "conférence des donateurs" pour soutenir une économie égyptienne au bord de la faillite après trois années d'instabilité. Le président Sissi l'en a remercié vendredi soir, précise Mena.

FRONT ARABE SUNNITE

L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït ont déjà débloqué quelque 20 milliards de dollars d'aide à l'Egypte. Le roi Abdallah est d'ailleurs le seul dirigeant étranger que le nouveau président égyptien a cité dans son discours d'investiture.

Abdel Fattah al Sissi avait été attaché militaire à Ryad à l'époque d'Hosni Moubarak mais l'alliance entre les deux pays va bien au-delà de simples accointances personnelles.

Promoteur d'un islam rigoriste dont il finance l'expansion à l'étranger par l'intermédiaire des mouvements salafistes, le royaume saoudien s'inquiétait de la concurrence d'un autre mouvement islamiste, les Frères musulmans de Mohamed Morsi soutenus par son rival qatari.

Il redoutait tout autant que la contagion des "printemps arabes" ne l'atteigne après avoir embrasé la Tunisie, l'Egypte, la Libye, Bahreïn, le Yémen et la Syrie.

Vu de Ryad, soulignent les experts, le rétablissement d'un régime militaire au Caire est une occasion de reformer un axe de stabilité arabe face à la montée en puissance de l'Iran et de la Turquie dans un monde arabe en train d'imploser.

"L'Arabie saoudite cherche essentiellement à construire un front arabe sunnite pour contrer l'influence iranienne dans le monde arabe", estime Fawaz Gerges, spécialiste du Proche-Orient à la London School of Economics.

MESSAGE AUX AMÉRICAINS

"Le modèle étatique arabe est en pleine désintégration, l'Irak et la Syrie sombrent dans la guerre pendant que l'Iran et la Turquie étendent leur influence... Aux yeux des dirigeants saoudiens, l'Egypte peut jouer un rôle décisif pour créer une force arabe dissuasive", ajoute-t-il.

Pays arabe le plus peuplé, avec ses 80 millions d'habitants, l'Egypte a longtemps eu des ambitions régionales qui ont culminé avec l'expérience rapidement avortée de la République arabe unie créée par Gamal Abdel Nasser avec la Syrie à la fin des années 1950.

Les experts soulignent cependant que l'ampleur de la crise socio-économique égyptienne devrait accaparer le gouvernement du Caire dans les prochaines années.

Abdel Fattah al Sissi n'a d'ailleurs fait aucun commentaire public sur la crise en Irak depuis le début de l'offensive djihadiste il y a deux semaines et pendant la campagne électorale. Ses seules déclarations de politique étrangère avaient consisté à remercier les pays du Golfe pour leur aide économique et à s'inquiéter du risque sécuritaire posé par la Libye voisine.

Sur le plan stratégique, les relations privilégiées nouées avec les Etats-Unis à l'époque d'Hosni Moubarak n'ont pas été remises en cause depuis la chute du "raïs", même si Washington a critiqué l'ampleur de la répression menée par l'armée après l'éviction du président Morsi, allant jusqu'à suspendre une partie de son aide militaire.

Dans ce contexte, le soutien inconditionnel apporté par le roi Abdallah au nouvel homme fort égyptien est aussi un message adressé aux Américains, dont les Saoudiens n'ont de cesse de critiquer la politique vis-à-vis de la Syrie et de l'Iran. (Mostafa Hashem; Tangi Salaün et Guy Kerivel pour le service français)