(Actualisé avec magistrats remplacés)

par Daren Butler et Ece Toksabay

ISTANBUL, 16 janvier (Reuters) - Le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan a obtenu jeudi le remplacement de plusieurs procureurs en Turquie, poursuivant sa purge d'un appareil judiciaire que le Premier ministre juge instrumentalisé dans le cadre d'un complot destiné à le faire chuter par le biais d'une enquête pour corruption.

Ces remplacements interviennent alors que le gouvernement s'emploie dans le même temps à renforcer son emprise sur l'organe de nomination des magistrats, le Conseil supérieur des juges et des procureurs (HSYK), présidé par le ministre de la Justice.

Parmi les magistrats remplacés jeudi figure le procureur adjoint d'Izmir, ville sur les rives de la mer Egée où des arrestations ont été effectuées la semaine dernière dans le cadre de l'enquête pour corruption qui ébranle le pouvoir.

Un juge a aussi été écarté à Van, dans l'est du pays, où la police a lancé cette semaine des opérations contre des membres présumés d'Al Qaïda dans le but, selon les partisans du gouvernement, d'embarrasser le Premier ministre.

Le procureur en chef et cinq de ses adjoints à Istanbul, où est instruite l'enquête pour corruption, figurent également parmi les 20 magistrats concernés par cette vague de mutations, a dit le HSYK.

La purge a commencé en décembre et les magistrats nommés depuis en remplacement de leurs confrères semblent réduire la portée des investigations.

D'après le journal Radikal, des mandats d'arrêt émis contre 45 personnes, dont le fils du Premier ministre, ont été levés par les nouveaux magistrats, qui demandent à la place de simples dépositions.

L'affaire de corruption actuelle, qui ébranle Recep Tayyip Erdogan comme jamais depuis qu'il a accédé au pouvoir en mars 2003, a éclaté le 17 décembre avec l'arrestation de plusieurs dizaines de personnes, dont des hommes d'affaires proches du gouvernement et trois fils de ministres.

"ETAT PARALLÈLE"

Au coeur de la bataille lancée par le chef du gouvernement contre le système judiciaire figure le Conseil supérieur des juges et des procureurs (HSYK).

Le Premier ministre estime que le HSYK est infiltré par les partisans du dignitaire musulman turc Fethullah Gülen, lesquels, dit-il, ont mis en place un "Etat parallèle" en Turquie. Aussi Erdogan affirme-t-il que ses projets de réformes du HSYK visent à rétablir l'indépendance de la justice.

Le Parti républicain du peuple (CHP), la plus importante formation de l'opposition turque, a rejeté jeudi les projets gouvernementaux censés permettre au Premier ministre de renforcer le contrôle de l'exécutif sur l'appareil judiciaire.

Une commission parlementaire a approuvé jeudi les propositions gouvernementales, qui doivent encore être discutées en séance plénière par les députés, en grande majorité issus du Parti de la Justice et du Développement (AKP) d'Erdogan.

Le projet de réforme du conseil de la magistrature suscite l'inquiétude de l'Union européenne et des investisseurs. Le vice-Premier ministre turc Ali Babacan a estimé mercredi soir que la confiance dans la justice turque était essentielle au pays pour qu'il atteigne ses objectifs de croissance à long terme.

Ali Babacan est chargé de l'économie et passe auprès des investisseurs pour un libéral au sein de l'AKP. Selon lui, la Turquie ne pourra pas atteindre son objectif d'un revenu annuel moyen de 25.000 dollars si les investisseurs, aussi bien turcs qu'étrangers, n'ont pas confiance en la justice turque.

"Si nous ne parvenons pas à faire en sorte qu'un investisseur, tant turc qu'étranger, puisse se dire qu'il a confiance en la justice turque, l'objectif d'un revenu national de 25.000 dollars restera un voeu pieux", a-t-il dit lors d'une conférence des ambassadeurs de Turquie. (Avec Gulsen Solaker; Eric Faye et Bertrand Boucey pour le service français)