Le trilemme des blockchains 

Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum, a relevé les trois grandes fonctions qui selon lui devraient constituées les blockchains de demain afin de proposer des conditions d’utilisation optimales : 

1. Scalabilité : les infrastructures blockchains, comme Bitcoin ou Ethereum par exemple, doivent pouvoir prendre en charge un nombre exponentiel de transactions sans faiblir et sans augmenter les frais et les délais de transaction. C'est-à-dire que la vitesse d'exécution des transactions et les frais qui y sont liés doivent évoluer de manière équilibrée, qu’il y est 400 utilisateurs ou 4 millions d’utilisateurs.

2. Sécurité : les réseaux blockchain doivent être sécurisés et résister aux attaques informatiques des hackers de manière à les empêcher de prendre le contrôle du réseau ou de modifier les transactions. Nous devons pouvoir envoyer de la valeur monétaire ou un message à une autre personne via la blockchain en toute sécurité.

3. Décentralisation : Plutôt que de concentrer l’ensemble des opérations sur une entité centralisée, comme une banque par exemple, les blockchains distribuent le contrôle du réseau de manière égale à tous les participants via l’algorithme de consensus Proof-of-Work de Bitcoin et d’Ethereum par exemple. Mais certaines blockchains centralisent la validation des transactions entre un nombre trop peu important d’opérateurs. Dans ce cadre, la potentielle corruption de ces acteurs revient sur le devant de la scène et donc la continuité des opérations sur le réseau peut être menacée.

A titre d’exemple, Bitcoin offre une décentralisation et une sécurité sans faille, mais flanche du côté de la scalabilité. Son réseau permet de réaliser jusqu’à 5 transactions par seconde. Si des millions de transactions se réalisent, les frais peuvent exploser et les durées de validation pourraient prendre plusieurs minutes/heures. Même si Ethereum peut prendre en charge jusqu’à 15 transactions par seconde, le nombre de transactions sur le réseau est si élevé, que pour elle aussi les frais explosent. Par exemple, en 2021 nous avons connu, pendant une certaine période, des frais qui gravitaient autour des 60$ par transaction en moyenne. Ce n’est pas soutenable économiquement. 

A l’heure actuelle, aucune solution blockchain peut se targuer de remplir le trilemme des blockchains proposé par Vitalik Buterin. Du moins elles doivent encore en faire leurs preuves. Si beaucoup de développeurs tentent de proposer une solution se rapprochant au maximum de ce modèle du trilemme des blockchains, d’autres facteurs sont à prendre en compte :

Le coût 

Qu’on le veuille ou non, l'algorithme de consensus de Bitcoin et Ethereum appelé Proof-of-Work (“preuve de travail” dans la langue de Molière) est hautement énergivore. Même si aujourd’hui, à l'échelle de la planète, les deux réseaux représentent qu’une infime partie des transactions financières mondiales, nous pouvons mesurer la consommation électrique de ces différentes blockchains. Prenons Bitcoin par exemple : 

 

Consommation électrique du Bitcoin
Source : University of Cambridge

A l’heure actuelle, la consommation électrique annualisée du BTC et de ses transactions gravite autour des 135 TWh. A titre de comparaison, c’est plus que la consommation électrique annuelle des Pays-Bas. Même si beaucoup de mineurs se penchent sur les solutions d’énergies renouvelables pour assurer leurs activités de minage, la plus grande partie de ces acteurs puisent principalement dans les combustibles fossiles. Une tendance qui est potentiellement réversible et qui sera extrêmement intéressante à observer dans les prochains mois/années. Selon une enquête menée par Crypto.com, à l’heure actuelle, le nombre de détenteurs de cryptomonnaies gravite autour des 300 millions. Ce qui représente environ 3,75% de la population mondiale. 
Nombre de détenteurs de cryptomonnaies
Source : Crypto.com

Nous comprenons ici qu’une utilisation à l'échelle planétaire de Bitcoin poserait, dans les conditions actuelles, plusieurs soucis. Comme nous l’avons vu, la blockchain Bitcoin est en capacité de gérer en moyenne 5 transactions par seconde actuellement, ce qui laisse supposer qu’une utilisation massive du réseau amènerait rapidement à une surcharge et une congestion de Bitcoin. En revanche, ces performances ne sont pas gravées dans le marbre
ad vitam aeternam, des mises à jour sont effectuées régulièrement afin d’optimiser les performances du réseau. Même si Ethereum propose une capacité d'exécution des transactions nettement plus rapide (trois fois supérieure à Bitcoin) le réseau est déjà à l’heure actuelle congestionné avec des frais de transaction exorbitants. Pour résoudre ces problèmes, Vitalik Buterin et ses équipes vont migrer leur algorithme de consensus du Proof-of-Work au Proof-of-Stake (“preuve d’enjeu” en français) ce qui aura pour effet, en théorie, de décongestionner le réseau et permettre ainsi de réduire le délai et les frais de transaction sur Ethereum. Je vous concocte un épisode dédié concernant cette transition du PoW au PoS pour Ethereum.  

Nous comprenons ainsi que le coût, qu’il soit énergétique ou financier, n'est à l’heure actuelle pas soutenable à l'échelle internationale. Bien que, comme nous l’avons vu, les mineurs qui valident les transactions et entretiennent le réseau se penchent vers des sources d'énergie renouvelables, pour l’heure, l’utilisation d'énergie fossile est privilégiée en majorité. Du côté financier, la congestion des blockchains a pour effet d’augmenter les frais de transaction et leur temps d'exécution. 

Bien sûr, d'autres solutions existent avec des blockchains moins utilisées comme Solana ou Cardano par exemple, mais elles se sont elles aussi heurtées au trilemme précédemment évoqué, à savoir assurer la décentralisation, la sécurité et la scalabilité de leur infrastructure. Ici, nous nous sommes cantonnés à l’algorithme de consensus Proof-of-Work utilisé pour les deux blockchains publiques les plus populaires, Bitcoin et Ethereum, mais des alternatives existent. Je vous réserve un comparatif dans un prochain épisode. Il existe aussi différents types de blockchains : publiques, privées et permissionnées. Pour mieux les comprendre, je vous renvois vers mon épisode qui y est dédié : Le Web 3.0, les différentes blockchains et le cultivateur cambodgien

Expérience utilisateur

Aujourd'hui, nous avons l’habitude d'interagir avec des applications et des interfaces intuitives. Prenez par exemple Airbnb pour réserver vos vacances ou encore Uber pour commander un chauffeur, le parcours utilisateur est simple et intuitif. Si vous essayez de faire quoi que ce soit sur une application du Web3 aujourd’hui, je prends peu de risque en vous disant que le parcours sera bien plus compliqué. Autrement dit, la courbe d’apprentissage est très raide. Vous aurez besoin d'un portefeuille décentralisé, le plus connu s’appelle Metamask et fonctionne avec Ethereum, puis vous devrez passer par un processus d’ajout de multiples extensions de navigateur ou de plug-ins uniquement pour les fonctionnalités les plus élémentaires. 

Mais nous ne pouvons pas en vouloir à un écosystème aussi jeune de ne pas encore proposer des interfaces aussi intuitives que le Web2 (actuel). Nous sommes aux prémices du Web3 et si une adoption massive devait se produire, les applications qui y seront intégrées devront proposer un accès et une navigation bien plus harmonieuse qu’elles le proposent aujourd’hui. A titre de comparaison, l’adoption des cryptomonnaies en 2022, dont découle le Web3, en est au même stade d’adoption en termes de nombre d’utilisateurs que Internet en 1998 :

Nombre d’utilisateurs Crypto 2022 VS Internet 1998
Source : World Bank

Web 3.0, la suite logique ?
 

Force est de constater que nous devenons, malheureusement, une société qui fait de moins en moins d’activités dans la “vraie vie”. Le nombre d’utilisateurs d’internet augmente chaque année et le temps passé devant les écrans suit la même tendance. Beaucoup d’entre nous achetons en ligne, parfois en plus grande quantité que dans des magasins physiques. Le temps passé quotidiennement devant les écrans s'accélère. Nous en sommes arrivés à faire, pour une partie d’entre nous, nos courses alimentaires sur internet. Et même certains d’entre nous préfèrent envoyer des messages à leurs proches plutôt que de les appeler directement. Des phénomènes irréfutables qui sont bien loin des habitudes que nous pouvions avoir dans les années 90. Un monde où l’innovation en chasse une autre à un rythme de plus en plus rapide. 

Ce nouveau Web promet d'offrir l’inclusivité et l'automatisation, un apprentissage élargi et accéléré grâce aux expériences de réalité virtuelle et augmentée, une interactivité immersive, des concepts de propriété et financiers décentralisés entre autres. Puis nous avons fort à parier que nous ne connaissons pas encore les meilleurs cas d’utilisation. C’est à la fois excitant et effrayant je vous le concède. Des émotions propres aux disruptions technologiques qu’a connues notre histoire. La peur, la résistance au changement et les doutes avant l’acceptation et l’adoption. Sommes-nous déjà dans ce processus en ce qui concerne l’évolution du Web ? Une chose est sûre, les premiers symptômes sont là. Et cette série sur le Web3 vise à mieux comprendre les technologies sous-jacentes, les enjeux et répercussions qu’il pourrait engendrer sur nos vies. 

Ici, vous l’aurez remarqué, nous nous sommes cantonnés majoritairement à l’aspect technique de la technologie de la blockchain avec son trilemme technique et les coûts qui y sont associés, aussi bien du côté énergétique que transactionnel. Mais quid des applications qui s’appuient sur ces blockchains ? Comment fonctionnent-elles ? Quid de l’aspect éthique et réglementaire ? La blockchain offre-t-elle un potentiel économique sans précédent ? A très vite pour un prochain épisode sur le Web3.

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