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(Easybourse.com) De quelle manière appréhendez-vous l'évolution des matières premières agricoles sur le court/moyen terme?
Nous avons connu pendant plusieurs années une situation délicate sur le marché des matières premières agricoles et ce pour deux raisons. Tout d'abord, la consommation (en particulier de viande et de céréales) a augmenté de manière très sensible, principalement en raison du développement de grandes économies émergentes telles que la Chine et l'Inde.
En 1980, la consommation de viande par an et par habitant était d'environ 20 kg, en 2004 elle a cru à 50 kilos, soit plus du double.
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Parallèlement, nous avons rencontré du point de vue de l'offre de nombreuses difficultés notamment du fait de problématiques météorologiques importantes avec des incidents climatiques très forts en amplitude dans des pays comme l'Australie (troisième exportateur de blé au niveau mondial), autour de la mer Noire et au Maroc.

Cela a entraîné un déséquilibre ayant pour conséquence un épuisement des  stocks qui à la fin de l'année 2007, se sont retrouvés un peu partout à leurs plus bas niveaux historiques, (depuis 60 ans aux États-Unis, depuis 30 ans au niveau mondial).

Cette situation a conduit à des réactions assez fortes consistant à augmenter au maximum les surfaces plantées…
En effet, nous avons observé sur le blé 225 millions d'hectares cultivés en 2008 contre 214 millions d'hectares en 2007, soit une augmentation de 7%.

Ceci, ajouté à une relative accalmie sur le plan météorologique, a permis d'avoir des récoltes record en 2008.

Par ailleurs, nous avons également eu des taux de rendement record à l'hectare (3,04 tonnes à l'hectare pour le blé contre 2,84 tonnes, 2,87 tonnes les deux années précédentes).

Nous avons de ce fait connu un regonflement des stocks de matières premières agricoles pendant l'année. Si nous raisonnons suivant le ratio stock sur consommation mensuel, nous sommes arrivés sur le blé à 2,62 mois cette année, contre 2,19 mois en 2007.

C'est ce qui explique la forte baisse des prix de 40 à 60% que nous avons pu observer depuis l'été 2008. Le boisseau de blé qui valait 7,95$ en début d'année ne valait plus que 4,75$ début décembre. 

Nous nous retrouvons dans une situation délicate où les prix ont tellement baissé que les agriculteurs sont confrontés à des difficultés importantes…
La plupart des agriculteurs avaient garanti leurs coûts de production en se couvrant à l'avance sur l'achat de produits phytosanitaires et d'engrais relativement difficiles d'accès.
Par conséquent ces coûts de production n'ont pas diminué, alors que parallèlement les prix de vente se sont effondrés.

Un certain nombre d'agriculteurs devraient se retrouver, s'ils plantent à la prochaine saison à travailler contre marge.

Quelle serait l'ampleur du manque à gagner ?
Il est difficile de donner une estimation en raison des politiques de subvention.
On s'accorde à dire que sur le marché du blé en Europe, à moins de 170 euros la tonne, cela devient très difficile pour les agriculteurs. Or le blé coté à Paris vaut 131 euros la tonne. 

Qui plus est la dégradation de la conjoncture économique amène à des conditions d'accès au crédit de plus en plus sévères.

Entre la baisse des prix et la difficulté à trouver les financements, nous devrions connaitre un effondrement de l'investissement dans le domaine agricole qui n'ira pas sans incidences ?
La FAO (Food and Agriculture Organization), le bras armé des Nations unies, voué à l'agriculture indique que nous sommes dans une situation telle que les émeutes de la faim que nous avons connues fin 2007, début 2008 ne sont rien par rapport à ce qui risque de se passer fin 2009 début 2010 si on ne réagit pas très rapidement.

L'eau, ressource indispensable pour l'agriculture devrait contribuer à entraîner une forte appréciation des matières premières agricoles dans les années à venir…
70 % de l'eau consommée dans le monde est utilisé pour l'agriculture. Il faut 2000 l d'eau pour faire un kilo de blé, 12 à 13 000 l d'eau pour faire un kilo de bœuf.
Aux États-Unis, le plus grand producteur de la quasi-totalité des céréales dans le monde, un certain nombre d'experts déclarent que d'ici 2015 36 des 50 états américains seront déficitaires en eau. La situation est donc potentiellement difficilement gérable.

Un des organismes dirigés par les Nations unies a récemment rendu un rapport dans le cadre du forum sur l'eau dans lequel il estime que pour maintenir la consommation d'eau à son niveau actuel dans les années à venir, il faudra investir d'ici 2030, 1000 à 1200 milliards de dollars par an.
Cela permettrait de rationaliser également la consommation et de pouvoir gérer une certaine croissance de la demande.

Ainsi le prix de l'eau à vocation à augmenter dans les années à venir. D'autant plus que certains grands pays ont décidé, du fait de cette problématique de l'eau, de cesser de produire eux-mêmes les céréales qu'ils consomment.

C'est le cas par exemple de l'Arabie Saoudite. Les autorités se sont rendues compte que leur auto suffisance en blé (le pays produit de l'ordre de 2 millions de tonnes de blé par an) se faisait au prix d'une trop grande utilisation des nappes phréatiques et qu'au train où allaient les choses, ils allaient se retrouver dans une dizaine d'années avec des nappes complètement asséchées.

Le pays a dès lors décidé qu'à partir de 2015, il ne produirait plus de blé sur le marché domestique et qu'il utiliserait ainsi les pétrodollars pour acheter les matières premières agricoles afin de préserver ses ressources naturelles.

Quel est le potentiel d'augmentation du prix de l'eau ?
Il n'y a pas d'étude qui circule sur le sujet dans la mesure où la question n'a pas été tranchée de savoir si l'eau est du domaine public ou du domaine privé.
La facturation de l'eau est très variable selon les pays. Dans certains cas l'eau est très subventionnée et ne coute quasiment rien aux agriculteurs. Il n'est pas sûr qu'une telle situation demeure inchangée si la forte augmentation du prix de l'eau en raison des investissements nécessaires est avérée. Donc il est difficile d'avoir des prix réels sur cette ressource.

Ce qui est certain c'est que compte tenu des investissements nécessaires pour maintenir la consommation d'eau actuelle et faire face à une éventuelle augmentation de la demande, le prix va forcément augmenter.

L'évolution du prix des matières premières agricoles est également fonction du développement des biocarburants…
Absolument

La question de l'évolution de l'industrie des biocarburants est de ce fait très importante. On s'est rendu compte que les biocarburants créaient une vive concurrence difficile à gérer en période de tension avec la consommation humaine.

Entre conduire et manger il faut choisir et le choix est relativement naturel.

Cependant un certain nombre de pays n'ont pas encore véritablement statué sur la question, notamment les États-Unis qui ont développé toute une industrie, créé de l'investissement industriel et du développement d'emplois autour des biocarburants. Dans la situation actuelle il est difficile pour ce pays de faire marche arrière. D'autant plus qu'il est notable que les Américains ont un problème de dépendance énergétique vis-à-vis de l'étranger et que l'intensification de la production des biocarburants a vocation à permettre d'amoindrir cette dépendance. 

En cela nous ne pensons pas que les États-Unis vont réduire leur production dans ce domaine. Nous estimons que l'année prochaine 33 % du maïs qui sera produit aux États-Unis seront utilisés pour le biocarburant. C'est une part non négligeable dans la mesure où les États-Unis sont le premier exportateur de maïs au monde.

Compte tenu de la forte augmentation des stocks et de la diminution de la demande dans le cadre de la récession économique, doit-on s'attendre à une baisse plus importante des prix en 2009 ?
Les stocks ont été reconstitués en 2008. Nous avions un stock to use en 2007 (rapport entre le niveau des stocks et l'utilisation de la ressource), de l'ordre de 19 % : un peu plus de deux mois de réserve.  En 2008, ce ratio était de 23 %.

En 2009, dans la meilleure des hypothèses, par exemple dans le secteur du blé, ce ratio devrait baisser.

Selon vous la demande devrait baisser sur certains segments seulement ?
Dans le domaine du blé, la consommation humaine s'accroît d'année en année. La demande n'est pas élastique au prix. Elle est en quelque sorte intangible.

A l'inverse ce qui baisse beaucoup en période de crise, c'est la consommation de protéines, et donc de viandes. Une baisse de la demande en céréales devrait se dessiner en raison de la baisse de la demande des fabricants de bétails.

C'est la raison pour laquelle, nous avons décidé de ne pas du tout investir dans tout ce qui est produit animalier. Il existe par exemple des contrats à terme sur le bétail, sur la poitrine de porc.
Nous pensons que ce sont des produits beaucoup plus corrélés à la situation économique.

Nous sommes en revanche davantage investis sur des produits de base comme le sucre, le maïs, le blé.

Vous êtes réservés sur les soft commodities : cacao, café, coton...
Le cacao et le café sont des produits qui ne sont pas vitaux, dont on peut se passer ou réduire la consommation en période de crise.
Le coton est relativement lié à l'activité économique en Chine.

Le panier de base de votre fonds contient toujours au minimum 10 produits car vous n'avez pas le droit d'avoir plus de 10 % d'investissements sur un produit. Cependant vous suivez entre 15 et 20 produits au total. 
Essayez-vous d'établir des prévisions chiffrées concernant le potentiel d'augmentation du prix de chaque produit ?

Nous essayons d'estimer des hypothèses mais il y a beaucoup d'éléments qui entrent en ligne de compte.

Nous travaillons là-dessus avec notre conseiller de comité d'investissement, Agritel, qui est un expert des marchés physiques et qui fait les prévisions chiffrées sur les rendements, les surfaces plantées.
Ceci étant, il y a un élément qui n'est pas maîtrisable, c'est la météo. Autant il est relativement facile d'estimer la demande, autant il est compliqué d'évaluer l'offre.

Avez-vous des biais géographiques ?
L'essentiel des matières premières agricoles est coté aux États-Unis : Chicago, New York.
Par ailleurs, certaines places européennes jouent un rôle non négligeable comme Londres ou Paris.
Il existe également des places en Asie mais les contrats sont beaucoup moins liquides et présentent un danger.

Nous nous sommes posés par exemple la question d'ajouter à notre panier l'huile de palme, un des produits les moins chers pour faire du biocarburant. L'huile de palme est cotée en Indonésie. La couverture de change sur ce produit est relativement complexe. Le produit n'est pas très liquide, et se traite beaucoup hors marché. Nous avons alors décidé de ne pas l'intégrer dans notre portefeuille.

De quelle manière justifiez-vous votre choix des contrats à terme ?
L'idée de base était d'avoir des contrats à haut potentiel d'appréciation, des contrats liquides, de façon à pouvoir à tout moment en fonction des besoins du fonds entrer ou sortir sans risquer de faire décaler le marché de manière trop violente.

Le fonds est couvert contre le risque de change...
Comme j'ai pu l'indiquer, la quasi-totalité des matières premières dans le monde est cotée en dollar et fluctue à contre courant de la devise américaine. C'est pourquoi nous sommes exposés sur ce marché en ayant un deposit en euros. Nous regardons tous les jours combien nous avons gagné ou perdu de dollars sur le fond et nous couvrons en changeant immédiatement au comptant de manière à être le moins sensible possible au risque de change.

On pourrait moduler la couverture mais ce n'est pas l'objectif du fonds.  Celui-ci n'a pas pour but de  jouer sur la devise. Il a vocation à participer au grand trend des matières premières agricoles et d'être le plus près possible de la performance de ces derniers.

Votre produit a vocation à être distribué dans les contrats d'assurance-vie ?
Nous avons signé un accord définitif avec la société d'assurances Vie + / Suravenir, et sommes en pourparlers avec d'autres, Cardiff notamment...
Nous avons passé des accords avec des plates-formes, avec CT CPR online, la compagnie 1818.
C'est une grande nouveauté de pouvoir composer un produit actif sur les matières premières agricoles qui soit éligibles à l'assurance-vie.

Comment expliquez-vous ce changement réglementaire ?
La réglementation européenne, qui a été transposée en France, prévoyait cette possibilité d'investir dans le compartiment des matières premières à hauteur de 10%.

Pourquoi avez-vous choisi comme  indice de référence le S&P GSCI ?
Il existe trois indices sur les matières premières agricoles : le S&P GSCI Agriculture (Standard & Poor's Goldman Sachs Commodity Index GSCI), le Reuters CRB Agriculture, le DJ AIG agriculture.
Ces trois indices ne répondent pas aux critères de diversification imposés par l'AMF. Ils ont tous moins de 10 matières premières agricoles. Nous ne pouvons pas les répliquer parfaitement
Nous avons alors pris en compte l'indice qui était suivi par le plus grand nombre.

Vous auriez pu créer votre propre indice ?
Il aurait fallu pour nos clients parvenir à recalculer l'indice pour pouvoir suivre l'évolution du portefeuille ce qui était relativement compliqué.
Nous avons fait le choix de prendre un indice représentatif du secteur agricole.

Quelle est la performance du fonds par rapport à cet indice de référence ?
Le fonds a une douzaine de pourcentages d'avance.

Quel est l'encours sous gestion ?
Le fonds a été lancé le 16 juillet. Il a 6 millions d'euros d'encours.
L'objectif est d'avoir 50 millions d'euros à horizon juin 2009

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 12 Janvier 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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