(Précisions, contexte)

par Ben Blanchard

PEKIN, 31 décembre (Reuters) - La Chine risque de connaître une "révolution violente" si les autorités ne mènent pas les réformes politiques depuis longtemps attendues par la population, avertit un groupe d'intellectuels chinois dans une inhabituelle "lettre ouverte" aux termes particulièrement forts.

"Si les réformes dont la société chinoise a besoin de manière urgente (...) continuent à être ignorées, la corruption officielle et le mécontentement dans la société grandiront (...) et la Chine ratera une fois de plus l'occasion de se réformer pacifiquement, elle sombrera dans l'agitation et le chaos d'une révolution violente", écrivent les 73 signataires.

Le gouvernement doit encourager la démocratie et l'indépendance du système judiciaire et approfondir les réformes des marchés, ajoutent les intellectuels, parmi lesquels figurent des avocats et des universitaires spécialistes du droit.

Le respect de la démocratie et des droits de l'homme est dans le monde entier "un courant qui ne peut pas être stoppé", affirment-ils.

"Depuis cent ans, l'histoire violente et sanglante de la Chine - notamment les dix années de la Révolution culturelle avec ses tragiques et douloureuses leçons - montre qu'à chaque fois qu'on s'oppose à la démocratie, aux droits de l'homme, à la règle du droit et au gouvernement constitutionnel, c'est un désastre pour le peuple, et qu'aucune stabilité politique et sociale n'est alors possible."

La lettre ouverte a commencé à circuler sur internet courant décembre mais les articles de la presse chinoise qui en faisaient mention en ligne ont été depuis retirés.

"LE BON MOMENT"

Pour He Weifang, professeur de droit à l'Université de Pékin et l'un des signataires, les demandes présentées dans cette lettre sont plutôt modérées mais c'est le bon moment pour les faire, alors que Hu Jintao s'apprête à passer les rênes de l'Etat à Xi Jinping, qui lui a déjà succédé à la tête du parti en novembre.

Parmi les signataires de cet appel figure Zhang Sizhi, avocat de la veuve de Mao, Jiang Qing, chef de la "Bande des quatre" au pouvoir durant la Révolution culturelle (1966-1976).

Soixante-cinq intellectuels, avocats et militants des droits de l'homme chinois avaient signé une lettre similaire début décembre pour demander aux responsables du Parti communiste de rendre public le montant de leurs avoirs financiers - le meilleur moyen, selon eux, de lutter contre la corruption.

L'arrivée en novembre dernier d'une nouvelle équipe dirigeante à la tête de la Chine, à l'issue d'une année marquée par un ralentissement de la croissance, a relancé les espoirs de voir la deuxième puissance économique mondiale se lancer dans une nouvelle vague de réformes.

Mais le poids des conservateurs au sein du nouveau pouvoir et la rigidité de Pékin en matière de diplomatie pourraient bien étouffer dans l'oeuf toute velléité de changements substantiels dans les années qui viennent.

A la mi-décembre, les principaux dirigeants politiques du pays se sont engagés à mener la prochaine étape des réformes économiques "avec un courage politique et une sagesse accrus", a rapporté l'agence de presse Chine nouvelle.

PRESSIONS SUR LES DISSIDENTS

Au terme d'une année entachée par des luttes de pouvoir et des scandales de corruption illustrés notamment par l'affaire Bo Xilai, le vice-président Xi Jinping a sans surprise été élu le 15 novembre secrétaire général du Parti communiste puis nommé chef de la commission militaire centrale à l'issue du XVIIIe congrès.

Sur le plan politique, une fois observée la différence de style du nouveau chef de l'Etat, adepte d'un ton plus direct et plus naturel que son prédécesseur, la nomination du nouveau comité central ne devrait pas entraîner d'inflexion majeure.

Déjà âgée et réputée conservatrice, la nouvelle équipe appelée à diriger le pays pour cinq ans semble en effet peu encline à prendre les mesures drastiques requises pour régler les dossiers brûlants que sont la corruption, les troubles sociaux et le changement climatique.

Tout au long de l'année, les autorités chinoises ont maintenu la pression sur les dissidents, notamment sur l'artiste Ai Weiwei, figure de proue de la dissidence, condamné à une lourde amende pour fraude fiscale.

Quant au prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo, un acteur du mouvement de révolte de la place Tiananmen à Pékin en 1989 condamné en 2009 à onze ans de prison, il reste incarcéré malgré de multiples appels à sa libération.

La question de la politique menée par Pékin à l'égard de ses dissidents a pris un tournant international en avril lors de l'affaire de l'avocat aveugle Chen Guangcheng. Ce dissident s'est enfui en avril de sa résidence surveillée pour trouver refuge à l'ambassade des Etats-Unis, jetant un froid dans les relations entre Washington et Pékin. Il vit aujourd'hui aux Etats-Unis. (Agathe Machecourt, Marine Pennetier et Guy Kerivel pour le service français)