(Actualisé, ministère de l'Intérieur, Ghannouchi, §§ 3, 9)

par Tarek Amara

TUNIS, 16 février (Reuters) - Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi dans le centre de Tunis pour soutenir le parti islamiste Ennahda, qui dirige le gouvernement, dix jours après l'assassinat de l'opposant de gauche Chokri Belaïd.

Samedi dernier, au lendemain des obsèques de Belaïd qui avaient attiré environ 50.000 personnes, une manifestation similaire avait rassemblé seulement 6.000 partisans d'Ennahda dans les rues de la capitale tunisienne.

Cette fois-ci, le ministère de l'Intérieur a déclaré que plus de 100.000 personnes avaient participé à la manifestation de Tunis.

A la suite du meurtre de l'opposant laïque, dans lequel la famille et l'opposition voient la main des islamistes, le Premier ministre Hamadi Jebali, secrétaire général d'Ennahda, a proposé de dissoudre le gouvernement et de nommer une équipe de techniciens apolitiques - un "gouvernement de compétences" - en attendant la tenue d'élections.

Cette idée a été rejetée par le parti islamiste qui se dit totalement innocent du meurtre de Belaïd et entend conserver les rênes du pouvoir.

A l'issue d'une réunion vendredi entre Ennahda et les partis laïques, le Premier ministre a parlé de consultations "positives" qui se poursuivront lundi.

Samedi, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés samedi sur l'avenue Habib Bourguiba, la principale artère de la ville, pour soutenir la légitimité d'Ennahda qui a remporté les élections législatives d'octobre 2011.

"Nous défendons la légitimité", "Nous sommes loyaux envers nos martyrs", pouvait-on lire sur les banderoles des manifestants qui scandaient "Le peuple veut Ennahda de nouveau" et "Le peuple veut l'unité nationale".

Prenant la parole, le numéro un d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a affirmé que l'exclusion du parti islamiste du gouvernement menacerait l'unité de la nation. "Le parti Ennahda ne quittera pas le pouvoir tant que le peuple sera avec lui", a-t-il lancé.

ENNAHDA POUR UNE "COALITION MODÉRÉE"

"L'initiative du Premier ministre est contraire à la légitimité, en vertu de laquelle Ennahda est au pouvoir après sa victoire aux élections", a déclaré Omar Salem, un jeune manifestant. "Jebali était prêt à ce que le parti lâche le pouvoir pour satisfaire les laïcs. C'est inacceptable."

Dans une interview mardi dernier à Reuters, Rached Ghannouchi a préconisé la formation d'un gouvernement de coalition toujours dirigé par Hamadi Jebali et composé à la fois de politiques et de technocrates.

Il a jugé essentiel que les islamistes et les partis laïques continuent de partager le pouvoir deux ans après la chute du régime de Zine Ben Ali, élément déclencheur des soulèvements du "printemps arabe". "Tout régime stable en Tunisie a besoin d'une coalition modérée entre islamistes et laïques", a-t-il dit.

Le chef d'Ennahda s'est dit ouvert à des compromis sur la répartition des portefeuilles régaliens de la Défense, des Affaires étrangères, de la Justice et de l'Intérieur.

Pour leur part, la plupart des partis politiques laïques appuient l'idée de Jebali de former un gouvernement de techniciens.

L'assassinat de Chokri Belaïd, abattu devant son domicile par un homme qui a pris la fuite à moto, n'a pas été revendiqué.

La transition politique du "printemps arabe" s'est révélée relativement moins chaotique en Tunisie que dans d'autres pays comme la Libye et l'Egypte mais les tensions se sont exacerbées depuis la victoire électorale des islamistes, accusés par la gauche et les libéraux d'empiéter petit à petit sur des libertés chèrement acquises.

Des mouvements laïques reprochent notamment au gouvernement la mollesse de sa réaction face aux groupes salafistes, partisans d'un islam des origines et qui s'attaquent depuis plusieurs mois aux lieux de culture et de divertissement (salles de cinéma et de théâtre, cafés, ...) et à des particuliers.

La Tunisie, ancien protectorat français, est l'un des pays arabes où le statut d'émancipation de la femme est le plus développé grâce à l'action de Habib Bourguiba, qui a dirigé le pays de 1957 à 1987. (Jean-Loup Fiévet et Guy Kerivel pour le service français)