"De quelle manière avez-vous accueilli les modifications consenties par le comité de Bâle concernant le ratio de liquidité qui a vocation à être imposé par les banques à compter de 2015 ? Avez-vous été surpris par la décision du comité ?
Nous savions que le lobby français était très actif en coulisses. Lorsque le gouverneur de la BCE, Mario Draghi a indiqué que ce ratio de liquidité à 30 jours était un handicap pour les banques, nous avons compris qu’il y aurait un assouplissement. Je ne savais cependant pas de quelle ampleur cet assouplissement serait.

Ce recul de la part des régulateurs mondiaux bénéficie avant tout aux banques françaises…
Même si elles ont toujours refusé de communiquer sur le sujet, nous supputons à partir d’un certain nombre de faisceaux d’indices convergents que les banques françaises ont un ratio de liquidité en dessous de 50%, fréquemment évoqué dans les médias et jamais formellement démenti. Et cela malgré l’étude d’une banque étrangère qui vient de faire des estimations qui me laissent perplexe car, dans ce cas-là, il n’était pas nécessaire pour le comité de Bâle de faire autant d’assouplissements que ceux décidés ce week-end, et qui correspondent au final à une réduction de moitié par rapport à l’exigence initiale.

Qu’est ce qui vous fait penser cela ?
Des études d’impacts quantitatifs ont été faits à la fois par le comité de Bâle au niveau mondial et par l’Autorité bancaire européenne (EBA) au niveau européen. Deux catégories de banques ont alors été à chaque fois distinguées. Une première catégorie est composée des très grosses banques, une deuxième catégorie renferme des banques moyennes plus traditionnelles.
Au niveau mondial, le comité de Bâle a considéré que le ratio de liquidité était au 31 décembre 2011 de 91% pour la première catégorie et de 98% pour la deuxième catégorie.
Au niveau du Vieux continent, l’EBA estime à la même date le ratio à 72% pour la première catégorie et de 91% pour la deuxième catégorie.

En toute vraisemblance, le problème de liquidité est plus prononcé pour les banques européennes que pour les autres banques mondiales. Au sein de ces banques européennes, les grandes banques systémiques rencontrent de plus grandes difficultés que les plus petites banques parce que le déséquilibre structurel , qui existe déjà entre des crédits plus importants que les dépôts, est magnifié par les activités de marché financées à très court terme.

Quand vous devez financer une activité de « tenue de marché » sur le marché secondaire d’un emprunt obligataire à 10 ans, par exemple une obligation EDF avec du crédit de gros (« wholesale ») au jour le jour, et donc par essence une ressource fragile et très volatile, vous plombez votre ratio de liquidité et vous participez à l’augmentation du risque systémique de façon exponentielle.

Que pensez-vous de l’élargissement du champ des actifs pouvant entrer dans le calcul du ratio ?
Peuvent à présent être considérés comme des actifs liquides, des actions cotées, des obligations d’entreprises au moins notées BBB - et des titres adossés à des crédits hypothécaires résidentiels de premier rang.

L’élargissement de champ va essentiellement bénéficier aux banques qui ont une activité de « tenue de marché » hypertrophiée, même si cet élargissement est limité à 15% du total des actifs qui peuvent entrer dans le calcul du ratio.

Cela a-t-il du sens de considérer ces autres actifs comme des actifs « très liquides » ?
La notion de liquidité est relativement difficile à appréhender. Elle est fonction du risque de contrepartie attaché à un instrument financier, auquel vient se cumuler un risque de marché proprement dit, par nature très instable.
En temps normal, les obligations d’Etat sont considérées comme les instruments les moins risqués, et les plus faciles et moins coûteux à financer via la pension livrée (« repos »). Les actions et les obligations d’entreprises sont des instruments plus risqués.
La crise de la dette souveraine de la zone euro a quelque peu changé la donne. Les obligations des Etats du sud de l’Europe, en premier la Grèce, ont subitement été perçues comme des instruments risqués.
La définition des actions éligibles m’interpelle car elles seront considérées comme liquides si elles ont baissé de moins de… 40% dans les 30 derniers jours. Même avec une décote de 50%, on parle quand même du fond de la cuve dans le cas d’espèce…

La mise en application de cette règlementation devrait débuter en 2015. Nous pouvons penser que d’ici là un environnement «normal» sera retrouvé ?

Nous ne pouvons que l’espérer… Ceci étant, nous pourrions éventuellement considérer comme légitime de concevoir les actions n’ayant pas baissé de plus de 40% et les obligations d’entreprises notées au moins BBB- comme liquides, si les grandes banques systémiques avaient actuellement un comportement en matière de couverture de la liquidité vertueux, or cela n’est pas le cas.
Par une telle attitude, les régulateurs ne font que laisser se perpétuer le modèle bancaire «too big to fail» (2B2F). De nouveau, ce sont les banques françaises qui en sont les grands bénéficiaires.

Les actions bancaires ont très bien performé depuis l’annonce de ces changements…
Ce rallye n’a pas vocation à se poursuivre longtemps. Le problème de fond afférant à la liquidité réelle des banques françaises n’est pas résolu. L’assouplissement du ratio de moitié n’y change rien. Au contraire, cela n’est pas de nature à rétablir la confiance…
Le ratio de solvabilité avait également été allégé par rapport au projet de base. L’entrée en vigueur devait être graduelle jusqu’en 2018. Le ratio avait été défini à 7% pour fin 2018.
Rapidement, les marchés ont cependant requis 9% dès 2012. Cela a ensuite été entériné par l’EBA.

Selon vous les banques françaises vont devoir à l’avenir communiquer sur leur ratio de liquidité…
Autant les banques françaises ont sur communiqué sur leur capacité à atteindre le ratio de solvabilité de 9%, autant elles ont toujours décliné de se prononcer sur le ratio de liquidité sous le prétexte qu’elles ne connaissaient pas encore la composition exacte de ce ratio.
Non seulement ce prétexte était à mon sens discutable car, si la composition de ce ratio n’avait pas été définitivement arrêté, pour autant nous en connaissions tous les termes. Par ailleurs, d’autres banques comme les banques suédoises ont été beaucoup plus transparentes en communiquant sur leur ratio de liquidité tout au long de l’année 2012.
Ainsi, la plus grande banque suédoise, Nordea, n’a pas hésité à avancer un ratio de liquidité en fin d’année 2011 de 144%.

Les marchés devraient également exiger la mise en conformité d’un ratio de 100% dès 2015 et non dès 2019 comme le comité de Bâle le permet...

Il avait été initialement prévu d’appliquer le ratio à 100% au 1er janvier 2015. Le lobbying a ensuite fait pression pour reculer ce délai de mise en œuvre. Ainsi, le comité a consenti à un ratio de 60% en 2015 pour atteindre 100% en 2019.

L’hypothèse de crise servant de fondement au calcul de ratio a été révisée. Les autorités sont revenues sur deux éléments en particulier : le niveau de retrait des dépôts des particuliers (passant de 5% des dépôts à 3% des dépôts) et le niveau d’actionnement des lignes de crédit par les entreprises (passant de 100% à 30%) ?
Ce sont les seuls changements qui me paraissent fondés. L’hypothèse posée initialement avait été un peu sévère. Considérer que dans un contexte de crise, l’intégralité des lignes de crédit des entreprises serait tirée, est de mon point de vue d’ancien banquier exagéré. Par contre avoir abaissé cette hypothèse de 100% à 40% pour les lignes de crédit interbancaire est surprenante car quand on parle de crise de liquidité, c’est bien sur l’interbancaire qu’elle se propage et là, les crédits confirmés seront tirés à bloc entre institutions financières.

Les gouverneurs de banques centrales se veulent rassurants à la suite de ces modifications. Selon Stefan Ingves, gouverneur de la Banque centrale de Suède --, le ratio de liquidité devrait in fine s’élever de 105% à 125% au niveau mondial...
Même si les chiffres peuvent être discutés par rapport à ceux avancés par ailleurs dans les dernières études quantitatives d’impact du comité de Bâle, il est intéressant de remarquer dans la déclaration de M. Ingves, que les modifications du calcul du ratio représente en fait un assouplissement de 20 points de pourcentage. Autrement dit, ce qu’il faut comparer, c’est le ratio de 100% pour 2015 auparavant, contre en fait désormais 48% en 2015 sur une assiette de calcul identique. C’est en cela que l’assouplissement est de la moitié du projet initial.

Un débat demeure sur le ratio de financement stable net à un an destiné à diminuer la dépendance des banques au financement de court terme. Les banques jugent ce ratio plus onéreux, et plus mal conçu que le ratio de liquidité. Ils demandent à ce que ratio soient abandonné...

Si les autorités ont décidé d’imposer un ratio de liquidité et un ratio de financement stable, c’est parce que le seul ratio de solvabilité ne suffisait pas.
Certaines ont pu afficher un ratio de solvabilité sensiblement supérieur à ce qui était réclamé et pourtant faire défaut. Les cas de Dexia et de Crédit immobilier de France l’illustrent parfaitement.
Une crise systémique se propage toujours par le canal de la liquidité, autrement dit, par une paralysie du marché interbancaire, puis des autres marchés de financement de gros, avant que le problème de solvabilité ne soit même avéré.
Le ratio de financement stable à 1 an, comme le ratio de liquidité à 30 jours servent à remettre les banques dans un modèle de transformation (emprunt à court terme pour prêter à long terme) moins dangereux pour l’économie mondiale.
Un abandon du ratio de financement stable ne serait pas une bonne idée. Il faudrait juste veiller à bien le calibrer, sans le vider de sa substance cette fois-ci. Le comité de Bâle s’est donné deux ans pour le faire.
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