Rio de Janeiro (awp/afp) - En deux décennies, le Brésil, secoué par un scandale international de viande avariée, est devenu le 1er exportateur mondial de viande bovine et de volaille, au prix d'un fort soutien public, d'une déforestation accrue de l'Amazonie et de contrôles sanitaires variables selon les acheteurs.

Alors que le pays a perdu d'un coup plusieurs de ses principaux marchés à l'exportation depuis vendredi, la crise alimentaire en cours oblige le gouvernement à voler au secours de la filière viande après la découverte d'un réseau de corruption présumé au sein de géants de l'agro-industrie comme JBS et BRF, accusés de certifier et revendre de la viande avariée.

Le secteur, auparavant peu organisé, doit en grande partie sa fulgurante expansion à la politique des "champions nationaux" menée par le gouvernement Lula dans les années 2000.

"Le gouvernement souhaitait soutenir des entreprises nationales de l'agroalimentaire et des mines, deux secteurs avec un fort potentiel au niveau international", explique à l'AFP Sergio de Zen, spécialiste de l'agrobusiness au sein du Centre d'études avancées en économie appliquée de l'Université de São Paulo (Cepea).

La Banque nationale de développement économique et social (BNDES), bras financier de l'État brésilien, a alors débloqué des fonds importants.

La Banque a ainsi versé plus de 4,5 milliards d'euros entre 2008 et 2011 aux seuls géants Marfrig et JBS, sous forme de crédits ou d'achats d'obligations, soit près du quart des déboursements destinés aux industries alimentaires sur la période.

- Viande: 7% des exportations -

Le groupe brésilien JBS est aujourd'hui le premier exportateur mondial de viande bovine.

Avec BRF et Marfrig, les deux autres géants brésiliens de l'agroalimentaire, ils maîtrisent "entre 40 et 55% de la production brésilienne [de viande] et plus de 70% des exportations", "des taux qui ne cessent de croître", pointe une note diplomatique européenne publié en 2013.

Ce processus de concentration de l'industrie de la viande s'est accompagné d'un développement considérable du système productif, à partir du milieu des années 1990.

Entre 1997 et 2016, le pays a triplé sa production de volailles, passant de 4,5 à 13,5 millions de tonnes, selon le Cepea, et en est devenu le premier exportateur mondial, avec 40% du marché. La production de viande bovine a aussi plus que doublé, à 7,3 millions de tonnes contre 3,3.

Dans le même temps, le volume des exportations a quasiment décuplé, à 1,4 million de tonnes contre quelque 160.000 tonnes seulement en 1997. En valeur, les exportations de viande bovine ont gonflé à 5,5 milliards de dollars contre 469 millions, selon l'Association brésilienne des exportateurs de viande Abiec .

Au total, en 2016, le secteur de la viande a généré 13 milliards de dollars d'exportation, soit 7% du total des exportations du géant sud-américain.

L'élevage bovin s'est surtout développé de manière extensive, stimulé par l'agrandissement des surfaces agricoles brésiliennes au détriment de l'environnement et surtout de la forêt amazonienne.

L'exploitation intensive des pâturages est aujourd'hui encouragée par gouvernement, industriels, et éleveurs pour préserver l'environnement, mais elle exige davantage d'investissements. L'élevage en feedlot, ferme-usine où est confiné le bétail, ne concernait que 13% des bovins abattus en 2015, selon l'Association des exportateurs Abiec.

- La question sanitaire -

La fulgurante transformation du Brésil en acteur majeur sur le marché de la viande a-t-il conduit le pays à négliger les normes sanitaires?

"Nous sommes certains de la qualité de nos produits. Nous avons mis 15 ans à renforcer notre système sanitaire pour gagner la confiance de nos clients. Ce sont eux qui établissent leurs règles et ils peuvent venir contrôler les installations quand ils le souhaitent", répond Antônio Jorge Camardelli, président de l'Abiec, qui pilote 91% des exportations de viande bovine.

"Plusieurs circuits aux contraintes sanitaires différentes permettent aux filières brésiliennes de respecter les impératifs des importateurs les plus exigeants, comme l'Union européenne [...] mais aussi de limiter leurs coûts pour abonder des marchés beaucoup moins regardants, tels que les franges les moins favorisées de la population brésilienne, le Moyen-Orient, Hong Kong, l'Angola ou encore le Venezuela", expliquait néanmoins le rapport européen en 2013.

"Condamner tout un secteur est exagéré, mais il est vrai que les investissements dans le système sanitaire n'ont pas suivi l'évolution du secteur" admet aussi le chercheur Sergio de Zen.

A ce jour, 21 usines de transformation de viande, dans lesquelles des irrégularités ont été trouvées, sont sous enquête au Brésil sur les quelque 4.837 qui ont été inspectées.

afp/rp