(Répétition sans changement de l'analyse diffusée dans la nuit)

* Le Brésil, la Russie pourraient suivre l'Argentine et la Turquie dans la crise

* Les sommes investies dans les marchés émergents infiniment plus importants qu'il y a 15 ans

* Les investisseurs ne font pas dans le détail en cas de mouvement de vente panique

par Sujata Rao et Daniel Bases et Vidya Ranganathan

LONDRES/NEW YORK/SINGAPOUR, 27 janvier (Reuters) - Sur le papier, les pays émergents n'ont plus rien à voir avec les fragiles économies tombées comme des mouches il y a 15 ans, mais cela ne les empêche pas d'être tout aussi vulnérables à une éventuelle intensification du mouvement de vente panique qui fait actuellement vaciller les marchés financiers.

Même si les yeux restent actuellement braqués sur la Turquie, l'Argentine ou encore l'Ukraine - avec en arrière-fond des craintes de ralentissement de l'économie chinoise - certains redoutent que ces crises, a priori isolées les unes des autres, ne finissent par emporter les actifs financiers de l'ensemble des pays dits émergents.

Dominic Rossi, responsable actions chez le gérant de fonds Fidelity, compare l'actuelle vague emportant les devises, les actions et les obligations à un sorte de "remake" de la série de crises, qui avait commencé en 1997, survenues aussi bien Asie, en Russie qu'en Amérique latine.

"Nous avons déjà vu ce film. Un pays emergent après l'autre reste à quai à mesure que l'eau se retire. Les plus faibles d'abord, l'Argentine et la Turquie, qui seront ensuite suivis du Brésil, de la Russie et d'autres", estime-t-il.

Ces dernières années, les marchés émergents ont été dopés par l'afflux de vastes quantités de liquidités bon marché émanant des trois programmes d'assouplissement quantitatif de la Réserve fédérale américaine, les investisseurs s'étant rués sur les marchés en développement en vue de retours élevés sur capitaux.

Comme la Fed a commencé à dénouer la troisième mouture de ce type de programme ("QE3") - elle devrait encore diminuer de 10 milliards de dollars le montant mensuel de ses rachats d'actifs obligataires pour le ramener à 65 milliards - les flux se sont inversés et les monnaies des pays en proie aux plus importantes problèmes économiques et politiques - Turquie et Argentine en tête - plongent.

Selon certains gérants spécialisés, l'accélération de la correction sur les marchés émergents crée des opportunités soit en arbitrant les pays les plus vulnérables contre ceux qui offrent des fondamentaux plus solides, soit en se positionnant dans une perspective de long term. (voir )

Mais, aux yeux de Lloyd Blankfein, directeur général de Goldman Sachs, quand les investisseurs commencent à paniquer, ils ne font plus aucune distinction entre les différents pays.

"Quand tout va bien, les marchés émergents sont examinés au cas par cas. Mais quand tout va mal, il n'y a plus de cas individuel, cela devient un évenement macroéconomique. Il n'y a plus aucune différence, ce sont tous des marchés émergents", a-t-il dit à Reuters Television.

CONTAGION

Benoit Anne, charge de la stratégie d'investissement pour les marchés émergents chez Société générale, est du même avis.

"Nous sommes rentrés dans un mode de contagion financière. Cela ne sert à rien de passer trop de temps à essayer de choisir quand on est confrontés à une crise de marché de l'ampleur de celle que nous vivons actuellement. Pour le moment, un seul mot d'ordre, il faut tout vendre."

L'indice MSCI des marchés émergents a dévissé de 7% depuis le début de l'année et les fonds dédiés à cette classe d'actifs ont enregistré des sorties nettes sur six des sept dernières semaines dont 422 millions de dollars de retraits sur la semaine se terminant au 22 janvier, selon des données de Lipper, une filiale de Thomson Reuters.

L'Argentine a été particulièrement touchée par les dégagements massifs sur les émergents après l'interruption des interventions de la banque centrale pour soutenir la devise et l'assouplissement du contrôle des changes décidé par le gouvernement qui ont entraîné une accélération de la dépréciation du peso.

La livre turque reste pour l'instant la devise la plus exposée, même si l'annonce d'une réunion extraordinaire de la banque centrale mardi lui a permis d'entamer un rebond après un nouveau plus bas historique. Elle accuse désormais un recul de plus de 11% face au dollar américain depuis le début du mois TRY=. La Bourse d'Istanbul, elle, abandonne près de 1,4% .

Parmi les autres devises de pays émergents, le rand sud-africain et le rouble russe se traitent non loin de leur plus bas niveau depuis cinq ans . En début de journée, le ringgit malaisien et le peso philippin ont touché l'un comme l'autre un plus bas de plus de trois ans .

Il y a trois raisons principales pour lesquelles les pays émergents, malgré le renforcement de leur économie ou des notes de crédit plus élevées, restent exposées à une fuite des capitaux similaire à celles qu'ils ont subi dans les années 1990.

Premièrement, les sommes qui ont afflué vers les marchés émergents au cours de la décennie écoulée sont très nettement supérieures aux investissements qui avaient précipitamment été retirés il y a 15 ans.

Deuxièment, les prêts accordés aux marchés émergents ont, pour une grande part, été consentis via le marché obligataire et non pas, comme avant, uniquement par le biais de prêts bancaires directs, qui impliquent des rapports plus durables entre les établissements financiers, les entreprises et les pays.

Enfin, l'émergence au cours de la décennie écoulée d'ETF (exchange-traded funds) a sensiblement augmenté le caractère indéfini des afflux de liquidités dans les marchés émergents, ce qui les rend particulièrement vulnérables à des retraits brutaux. (Benoit Van Overstraeten pour le service français, édité par Nicolas Delame)