BERLIN (Reuters) - Le mécontentement grandit parmi les partenaires du Parti social-démocrate (SPD) au sein de la coalition gouvernementale en Allemagne autour de ce qu'ils considèrent comme des manquements de la part du chancelier Olaf Scholz dans la gestion de la guerre en Ukraine, un clivage interne qui risque de saper l'unité affichée jusqu'ici par les puissances occidentales face à la Russie.

Le volontarisme affiché par le chancelier au tout début de la crise - avec la suspension du projet de gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l'Allemagne deux jours avant le déclenchement de l'offensive russe et l'annonce d'une forte hausse des dépenses militaires dans les jours qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine - a désormais laissé la place aux tergiversations, selon ses partenaires de coalition.

Sept semaines après le début de la guerre, les Verts et les libéraux démocrates du FDP, partenaires de coalition du SPD d'Olaf Scholz, s'irritent que Berlin ne réponde pas aux demandes d'armements lourds des Ukrainiens, alors que Kyiv s'inquiète de préparatifs russes pour une vaste offensive dans le sud et l'est de l'Ukraine.

Des voix s'élèvent également au sein de la coalition pour presser le chancelier d'agir davantage pour réduire la dépendance énergétique de l'Allemagne à l'égard de la Russie.

"Il doit enfin faire preuve de leadership", a déclaré à Reuters Anton Hofreiter, élu des Verts qui préside la commission des Affaires de l'Union européenne du Bundestag.

"J'ai l'impression que Monsieur Scholz ne réalise pas l'étendue des sérieuses atteintes à la réputation de l'Allemagne qu'il provoque en Europe centrale, en Europe orientale et globalement dans toute l'Europe", a-t-il ajouté.

TIÈDE SOUTIEN

L'ambassadeur d'Ukraine en Allemagne a accusé la semaine dernière les autorités allemandes de n'apporter qu'un soutien tiède aux autorités de Kyiv et a jugé que l'Ukraine était devenue la victime de la "honteuse" dépendance de l'Allemagne aux énergies fossiles russes.

A la chaîne publique de radio allemande rbb24 Inforadio qui lui demandait mercredi s'il parvenait à faire preuve de leadership, Olaf Scholz a répondu: "évidemment, (...) et pas qu'un peu".

Le chancelier a déclaré lors de cette interview que l'Allemagne fournissait à l'Ukraine des armes antichars, des missiles de défense aérienne et d'autres armements, tout en précisant que les autorités allemandes s'assuraient "d'éviter que l'Otan, les pays de l'Otan et (...) l'Allemagne ne deviennent parties prenantes de cette guerre".

Selon des sources gouvernementales, le chancelier considère que son rôle est de maintenir la coalition tripartite et ne se préoccupe pas des variations à court terme de sa cote de popularité.

Olaf Scholz doit trouver un point d'équilibre entre les demandes d'accroissement des livraisons d'armes à l'Ukraine, émanant principalement des Verts, et les réticences de certains membres de son parti, partisan de longue date d'un rapprochement de l'Occident avec la Russie avant la guerre en Ukraine.

La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, issue des Verts, a elle aussi plaidé cette semaine pour des livraisons d'armes lourdes à l'Ukraine.

"Le temps n'est plus aux excuses mais à la créativité et au pragmatisme", a-t-elle dit.

FISSURES APPARENTES

Anton Hofreiter a été plus loin en réclamant un embargo contre le charbon et le pétrole russes, "un minimum" selon lui.

"Je pense que même un embargo complet sur l'énergie est possible", a déclaré le député écologiste, qui s'est rendu cette semaine en Ukraine avec deux autres élus au Bundestag: Michael Roth, membre du SPD à la tête de la commission des Affaires étrangères, et Marie-Agnes Strack-Zimmermann, membre du FDP et présidente de la commission de la Défense.

L'Allemagne, première économie de l'Union européenne, couvre une grande partie de ses besoins énergétiques par des importations russes (25% pour le pétrole, 40% pour le gaz). A l'échelle de Vingt-Sept, la Russie représente 40% de l'ensemble des importations de gaz.

L'UE est parvenue la semaine dernière à surmonter une nouvelle fois quelques divisions et a adopté vendredi un cinquième train de sanctions contre la Russie, qui prévoit notamment un embargo sur les importations de charbon, de bois et de produits chimiques.

Mais pour l'instant, le gaz et le pétrole - qui fournissent à la Russie une manne contribuant au financement de la guerre en Ukraine - ont été épargnés par les sanctions européennes, notamment sous l'influence de l'Allemagne.

Pour Mujtaba Rahman, directeur général pour l'Europe du cabinet de conseil en risques politiques Eurasia Group, l'Allemagne finira par céder sur les sanctions pétrolières, de peur de voir l'unité occidentale se fracturer.

"Les fissures commencent vraiment à se révéler au sein de la coalition mais en résumé, le fait est que la politique de l'Allemagne sur la Russie et l'Ukraine est totalement intenable", a-t-il souligné dans un courriel à Reuters.

"Sur les sanctions sur le pétrole, sur le soutien budgétaire de l'UE, l'Allemagne va être contrainte de faire évoluer sa position."

(Avec la contribution de Reuters TV et Andreas Rinke ; version française Myriam Rivet, édité par Bertrand Boucey)

par Paul Carrel