* Al Khatib a rencontré des ministres russes et iraniens

* Il se dit prêt à un dialogue avec des émissaires d'Assad

* La communauté internationale salue son "courage"

* Vives critiques dans l'opposition

par Khaled Yacoub Oweis et Stephen Brown

MUNICH, 3 février (Reuters) - Le chef de l'opposition syrienne, Moaz Al Khatib, est de retour ce dimanche au Caire, où il va devoir s'expliquer auprès de ses alliés sceptiques au sujet de sa rencontre avec les ministres des Affaires étrangères de Russie et d'Iran, deux des principaux soutiens de Bachar al Assad sur la scène internationale.

Le président de la Coalition nationale syrienne (CNS) s'est entretenu samedi, en marge de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité, avec le Russe Sergueï Lavrov et avec l'Iranien Ali Akbar Salehi, quelques jours après avoir ouvert la porte à un dialogue sous conditions avec des émissaires du régime de Bachar al Assad.

Ces gestes d'ouverture ont été interprétés par la Russie et par l'Iran, mais aussi par le vice-président américain Joe Biden présent à Munich, comme une initiative majeure pour tenter de mettre fin à la crise en Syrie, où plus de 60.000 personnes sont mortes depuis le début du soulèvement contre Bachar al Assad en mars 2011.

"Si nous voulons faire cesser ce bain de sang, nous ne pouvons pas continuer à rejeter la faute sur l'autre", a déclaré Ali Akbar Salehi dimanche à Munich.

Il s'est dit prêt à parler de nouveau avec l'opposition syrienne et a souhaité que l'Iran, principal fournisseur d'armes de la Syrie avec la Russie, "prenne part à la solution".

Sergueï Lavrov a pour sa part qualifié l'initiative de Moaz Al Khatib d'"étape très importante". "En particulier parce que la coalition (d'opposition) a été créée sur la base d'un rejet catégorique de toute discussion avec le régime", a ajouté dimanche le ministre russe des Affaires étrangères, cité par Itar tass.

Avec la Chine, la Russie a opposé à trois reprises au Conseil de sécurité de l'Onu son veto à des résolutions d'inspiration américano-européenne et arabe ouvrant la voie à une mise à l'écart de Bachar al Assad. Moscou assure cependant ne pas chercher coûte que coûte à maintenir au pouvoir le président syrien.

MODÉRÉ

Si les responsables des Etats-Unis, d'Europe et du Proche-Orient présents à Munich ont salué le "courage" de Moaz Al Khatib, ce dernier doit en revanche s'attendre à un tir de barrages de la part de la direction de l'opposition syrienne, en exil au Caire.

"Il a déclenché une tempête politique. Rencontrer le ministre iranien des Affaires étrangères n'était absolument pas nécessaire parce que c'est inutile. L'Iran soutient Assad sans réserve et il aurait très bien pu rencontrer directement le ministre syrien des Affaires étrangères", a réagi l'un des 12 membres du bureau politique de la CNS.

Issu d'une famille respectée responsable de la mosquée des Omeyyades à Damas, le cheikh Moaz Al Khatib est un islamiste modéré perçu comme un rempart face aux éléments fondamentalistes particulièrement actifs dans l'insurrection armée contre le régime syrien.

Il a été porté en novembre à la tête de la CNS avec le soutien décisif des Frères musulmans.

Aux yeux de ce même membre du politburo de la CNS s'exprimant sous le sceau de l'anonymat, les déclarations dimanche d'Ali Akbar Salehi et de Sergueï Lavrov prouvent que les positions de l'Iran et de la Russie n'ont pas évolué d'un iota.

Le ministre iranien a déclaré à Munich que la solution à la crise syrienne était la tenue d'élections, sans faire mention d'un éventuel départ de Bachar al Assad.

Fervents soutiens de l'opposition syrienne, le Premier ministre du Qatar, Hamad ben Jassim al Thani, et le sénateur américain John McCain ont exprimé à Munich leur frustration face à la paralysie de la communauté internationale.

"Nous jugeons le Conseil de sécurité de l'Onu directement responsable de la tragédie persistante endurée par le peuple syrien, des milliers de vies perdues, du sang qui a été répandu et qui continue d'être versé par les mains des forces du régime", a déclaré le chef du gouvernement du Qatar.

A Moscou, certains minimisent la portée des discussions entre Sergueï Lavrov et Moaz Al Khatib. Une source diplomatique les a qualifiées de "simples rencontres de routine".

UNE INITIATIVE QUI VA TOURNER COURT?

"Nous avons exposé notre point de vue lorsque le ministre Lavrov a rencontré Al Khatib, nous avons pris note de ses déclarations selon lesquelles il existe encore une opportunité de dialogue avec le gouvernement syrien. C'est quelque chose que nous appelions de nos voeux", a dit cette source russe.

"Dans quelle mesure est-ce réaliste, c'est une autre question et il y a des doutes à ce sujet", a-t-elle ajouté.

Un membre de la délégation de Moaz Al Khatib à Munich a assuré que l'offre de dialogue trouverait un écho auprès des Syriens n'ayant pas pris les armes "et qui veulent se débarrasser (de Bachar al Assad) avec le minimum de sang versé".

Opposant historique au régime du clan Assad, Fawaz Tello pense que Moaz Al Khatib a effectué une "manoeuvre politique calculée pour mettre Assad dans l'embarras".

"Mais c'est une initiative incomplète et elle va probablement tourner court", a dit à Reuters cet opposant installé à Berlin. "Le régime Assad ne peut pas appliquer le moindre point des différentes initiatives lancées dernièrement car cela entraînerait tout simplement sa chute."

Selon lui, la Russie et l'Iran ont déjà commencé à détourner l'initiative de Moaz Al Khatib dans un sens négatif pour l'opposition tandis que "le régime et ses alliés vont simplement utiliser les rencontres avec Al Khatib comme une occasion supplémentaire de mater la rébellion ou de l'affaiblir".

Interrogé par Reuters sur le fait que son initiative pourrait être interprétée comme un signe de faiblesse, Moaz Al Khatib a répondu: "Le moral des combattants est élevé et ils avancent tous les jours." (Avec Alexandra Hudson à Munich et Gabriela Baczynska à Moscou; Jean-Stéphane Brosse et Bertrand Boucey pour le service français)