(Actualisé, incertitude sur le début des discussions USA-taliban, §3)

par Hamid Shalizi

KABOUL, 19 juin (Reuters) - Kaboul ne participera pas aux discussions entre les taliban et les Etats-Unis tant que les "puissances étrangères" ne permettront pas qu'elles soient conduites par des Afghans, a dit mercredi le président Hamid Karzaï en accusant Washington de ne pas avoir tenu parole.

Le chef de l'Etat afghan a suspendu les négociations sur la présence à long terme des forces américaines en Afghanistan en raison de l'"incohérence" de Washington sur ces pourparlers avec la milice islamiste, qui doivent s'ouvrir à Doha.

Mardi, un responsable américain avait dit que les discussions débuteraient ce jeudi dans la capitale qatarie. Mais mercredi, un autre responsable américain a été plus flou, disant qu'elles s'ouvriraient "dans les prochains jours".

"Dans la mesure où le processus de paix n'est pas conduit par les Afghans, le Haut Conseil de paix ne participera pas aux discussions du Qatar", a déclaré pour sa part le président Karzaï dans un communiqué.

Le président afghan juge que Washington a failli à sa promesse en accordant un statut officiel aux anciens "étudiants en religion", qui ont ouvert mardi une représentation à Doha dans la perspective de ces discussions.

"Le bureau de Doha donne aux taliban une identité officielle, ce que nous ne voulons pas. Les autorités américaines nous avaient dit que le bureau serait utilisé pour faire progresser les négociations de paix, mais pas pour leur donner une identité", a expliqué un haut fonctionnaire afghan.

"Avant l'ouverture du bureau, les Etats-Unis nous ont donné des garanties écrites et elles ont été bafouées", a renchéri un autre responsable afghan, selon lequel Hamid Karzaï a fait part de son inquiétude au secrétaire d'Etat John Kerry. L'information a été confirmée par une autre source officielle.

RETRAIT FIN 2014

Les Etats-Unis avaient confirmé mardi leur participation aux discussions avec les taliban, censées mettre fin à une guerre meurtrière et coûteuse entamée fin 2001. Une délégation américaine est arrivée mercredi à Doha, a-t-on appris de source diplomatique.

Le porte-parole des taliban au Qatar avait également indiqué que des représentants de l'insurrection afghane rencontreraient bien des responsables américains pour des discussions de paix préliminaires. Ce porte-parole, Mohammed Naeem, a dit à Reuters que le gouvernement afghan ne serait pas représenté.

Les négociations sur l'Accord de sécurité bilatéral, qui doit déterminer les effectifs du contingent américain appelé à rester en Afghanistan après le retrait des dernières unités combattantes, fin 2014, ont été entamées en début d'année.

Quatre soldats américains ont été tués mardi soir par des tirs de roquettes sur la base militaire ultra protégée de Bagram, au nord de Kaboul, a-t-on appris auprès de l'état-major des forces étrangères.

"En raison des contradictions entre les actes et les déclarations des Etats-Unis d'Amérique concernant le processus de paix, le gouvernement afghan suspend les négociations. Les discussions resteront suspendues en attendant une clarification des Etats-Unis", dit un communiqué de la présidence afghane.

Mardi, Kaboul avait annoncé l'envoi à Doha d'une délégation du Haut Conseil de paix, créé en 2010 pour promouvoir la "réconciliation nationale", mais les taliban refusent de négocier avec un gouvernement qu'ils jugent aux ordres des puissances occidentales.

TRANSFERT DE RESPONSABILITÉS

Selon Hamid Karzaï, le processus de réconciliation doit respecter trois principes : après leur ouverture au Qatar, les négociations devront être rapidement relocalisées sur le sol afghan, mener à la fin des violences et ne pas devenir un outil "d'exploitation de l'Afghanistan par un pays tiers."

La délégation américaine exigera pour sa part des taliban qu'ils rompent avec Al Qaïda, qu'ils renoncent à la violence et reconnaissent la Constitution afghane, y compris en ce qui concerne les droits des femmes et des minorités.

Des discussions entre le mouvement islamiste et les Etats-unis ont déjà eu lieu début 2012 au Qatar, mais les taliban y ont mis fin en mars de la même année.

Lors du G8 D'Enniskillen, en Irlande du Nord, Barack Obama a averti mardi que le processus de paix serait long et difficile.

"Il s'agit d'un premier pas vers la réconciliation, mais nous n'en sommes qu'au tout début. Nous nous attendons à ce que la voie soit semée d'embûches", a souligné le président.

"Nous pensons qu'en fin de compte, les Afghans vont devoir parler aux Afghans des moyens d'enrayer le cycle de la violence pour qu'ils puissent vraiment entamer la construction de leur Etat", a-t-il estimé mercredi, en visite à Berlin.

La réunion de Doha, qui devrait porter sur un échange de prisonniers, coïncide avec le début de la dernière phase du transfert des responsabilités en matière de sécurité.

Une cérémonie en présence de 2.000 dignitaires locaux et étrangers, dont le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a été organisée mardi pour l'occasion.

Cette phase s'achèvera par le départ, fin 2014, des dernières unités combattantes de la Force internationale d'assistance à la sécurité (Isaf), ce qui pose la question des capacités de l'armée et de la police afghanes. (Avec Miriam Arghandiwal et Mirwais Harooni à Kaboul, Jeff Mason et Roberta Rampton à Berlin, Jean-Philippe Lefief, Eric Faye et Guy Kerivel pour le service français)