* Tapie assure qu'il ne vise pas la mairie de Marseille

* Il affirme ne pas vouloir démanteler le nouveau groupe

* La classe politique locale a peine à y croire

* Un rachat permis par l'indemnité versée par l'Etat (Actualisé avec annonces de Tapie)

par Jean-François Rosnoblet

MARSEILLE, 20 décembre (Reuters) - La reprise par Bernard Tapie des quotidiens du groupe Hersant dans le sud de la France est vue avec suspicion par la classe politique, qui a peine à croire que l'homme d'affaires ne s'en servira pas comme d'un tremplin pour la mairie de Marseille.

Bernard Tapie et Philippe Hersant ont rencontré jeudi les équipes de direction de Nice-Matin et de la Provence, qui font partie du lot avec Corse-Matin, de même que les quotidiens France-Antilles de Martinique, Guyane et Guadeloupe, mais pas les rédactions, sur leurs gardes face à l'offensive.

L'homme d'affaires leur a assuré n'avoir aucune intention de démanteler le groupe, dont les titres sont très rentables, alors que des rumeurs lui prêtent l'intention de vendre Nice-Matin pour garder uniquement la Provence, et a promis un plan fin janvier, ont rapporté des participants après la réunion.

Il s'est voulu rassurant en affirmant qu'il n'interviendrait dans la ligne éditoriale et qu'il voulait que la marque soit "incontournable sur les grands événements de la région", insistant notamment sur le rugby et le football.

"Je ne connais rien à la presse, mais il faut réinventer la PQR", la presse quotidienne régionale, a-t-il dit selon les mêmes sources avant de quotter les locaux sans rencontrer les médias. "C'est le défi le plus important de ma vie."

Un accord a été signé entre les banques créancières de Groupe Hersant Média et la famille Hersant associée à Bernard Tapie. Cet accord doit encore être présenté au président du tribunal de commerce lundi pour être définitivement homologué.

L'homme d'affaire sera président du conseil de surveillance et Philippe Hersant président du directoire, a dit Bernard Tapie aux dirigeants des journaux rencontrés jeudi. Il refuse en outre toute clause de cession qui permettrait aux journalistes de quitter le groupe moyennant des indemnités.

SCEPTICISME À MARSEILLE

L'ancien patron de l'Olympique de Marseille, avait manifesté son intérêt pour ces journaux, en association avec la famille Hersant, mais avait retiré son offre de 50 millions d'euros face à celle de l'éditeur belge Rossel. Il a finalement changé d'avis à la demande de la famille Hersant.

Montré en exemple avant de connaître la faillite et la prison, Bernard Tapie revient donc en force à Marseille, une ville qu'il connaît bien, en prenant les rênes de La Provence, le principal journal de la cité phocéenne.

Il peut puiser pour cela dans l'indemnité de 285 millions d'euros de fonds publics obtenue en 2008 grâce à un arbitrage contesté sur la plus-value réalisée lors de la revente de l'équipementier Adidas par l'intermédiaire du Crédit Lyonnais.

Le retour aux affaires de l'ancien ministre de François Mitterrand est perçu avec scepticisme et inquiétude par la classe politique locale, qui voit dans le rachat du quotidien un premier de l'homme d'affaires vers la mairie de Marseille.

PAS D'AMBITION POLITIQUE, DIT TAPIE

Bernard Tapie a démenti nourrir un tel dessein.

Preuve de sa supposée bonne foi, il s'est engagé par écrit auprès du conciliateur Christophe Théverot "à ne pas postuler à quelque mandat électoral que ce soit" selon une lettre publiée par Libération. Il précise que, dans le cas contraire, il revendrait ses parts du journal et les bénéfices seraient reversés à une association caritative.

Devant les dirigeants des rédactions de Nice-Matin et de La Provence, il a réitéré cet engagement, affirmant selon des participants que briguer la maire de Marseille "serait la meilleure façon de perdre sur les deux tableaux."

Ces dénégations n'ont pourtant pas vraiment convaincu.

"Quand on dit 'jamais' en politique, ça veut dire 'pas pour l'instant'. Avec M. Tapie, il faut s'attendre à tout", a dit à la presse le maire de Marseille, l'UMP Jean-Claude Gaudin, qui rappelle avoir affronté avec succès l'homme d'affaires en 1992.

Les successeurs potentiels de Jean-Claude Gaudin, qui n'a toujours pas indiqué s'il sera candidat à un quatrième mandat à la tête d'une ville qu'il dirige depuis 1995, estiment que Bernard Tapie ne fait rien au hasard.

Pour le député socialiste marseillais Patrick Mennucci, "Bernard Tapie a toujours rêvé d'être maire de Marseille".

"Il veut se servir du journal comme on le faisait dans le passé, peut-être en y excluant ses futurs adversaires. Cela n'est pas sain", a-t-il dit sur France Bleu Provence.

COMME EN ITALIE ?

A droite, on attend de voir la "situation se décanter" pour tirer les enseignements de la nouvelle donne, mais on souligne que si Bernard Tapie a "désormais une vitrine, il n'a aucune structure politique viable" sur laquelle coller ses ambitions.

Pour les Verts, dans un communiqué, "cette nouvelle nous rapproche un peu plus de l'Italie berlusconiste où affairisme, contrôle de la presse, ambition personnelle et argent-roi se mélangent dans un cocktail mettant en péril notre démocratie".

Sur le plan purement entrepreneurial, l'investissement de Bernard Tapie est diversement apprécié.

"Il s'agit, avant tout, de sauver une entreprise de la liquidation judiciaire et de tout mettre en ÷uvre pour préserver des centaines d'emplois", écrit le président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône Jean-Noël Guérini.

Jean-Claude Gaudin, quant à lui, a dit préférer "que ce soit un Français qui entre fortement au capital plutôt qu'un émir du Qatar ou même un Belge".

Mais Patrick Menucci estime que "Bernard Tapie n'a jamais apporté d'emplois à Marseille, il est simplement là pour faire des opérations financières".

L'ancien patron de l'OM, sur lequel il régna sans partage de 1986 à 1994, ne doit pas s'attendre à un accueil chaleureux de la part de la rédaction de La Provence, où beaucoup de journalistes se souviennent encore de ses excès.

"Travailler avec Tapie demande beaucoup de courage et de docilité", explique un rédacteur. (Avec Matthias Galante à Nice, édité par Yves Clarisse)