par Stefanie Eimermacher et Daniel Felleiter

BERLIN, 14 mars (Reuters) - L'offensive lancée par le président turc Recep Tayyip Erdogan pour renforcer ses pouvoirs grâce à la réforme constitutionnelle qui sera soumise à référendum le 16 avril prochain provoque tensions et fractures au sein des trois millions de Turcs d'Allemagne et Allemands d'origine turque.

"Mon père est pro-Erdogan. Quand il allume la télévision, je dois quitter la pièce", confie à Berlin un Allemand de 22 ans d'origine turque, qui achève un an de travail volontaire avant d'entamer des études universitaires.

Beaucoup de familles de sa connaissance sont divisées comme la sienne à l'approche du référendum, assure ce jeune homme qui préfère rester anonyme, car il craint des représailles de la part des partisans d'Erdogan ou redoute qu'on lui interdise de se rendre en Turquie.

A quelques pas de là, dans le quartier multiculturel du Kreuzberg, des pancartes rouge vif proclamant "Hayir" - "Non" en turc - et "Non à la dictature en Turquie" ont été décrochées d'une barrière et gisent sur le trottoir.

Au sein de la diaspora, la vive polémique qui oppose depuis des jours le gouvernement d'Ankara à plusieurs pays d'Europe dont l'Allemagne choque certains.

"La façon dont les Turcs sont traités ici est réactionnaire", estime Ergun Gumusalev, qui habite Cologne. "Je suis opposé à Erdogan mais comment est-ce possible? Où vit-on? Cela fait 50 ou 60 ans qu'on est ici, exploités comme des porcs (...) et voilà comment on nous remercie", s'indigne-t-il.

De nombreux Turcs ont immigré en Allemagne dans les années 1960 et 1970 en tant que "Gastarbeiter" ("travailleurs invités") et ainsi contribué au "miracle économique" de l'après-guerre.

Mais le récent contentieux diplomatique a ravivé le débat sur l'intégration des Turcs au sein de la société allemande et la chancelière Angela Merkel est soucieuse de ne pas importer en Allemagne les conflits internes à la Turquie.

MESSAGES DE HAINE

Ismail Kupeli, professeur de science politique à l'université de Ruhr-Bochum, dit s'attendre à ce qu'environ 60% des 1,4 million de Turcs d'Allemagne appelés à voter pour le référendum soutiennent Erdogan, soit environ le même pourcentage que ceux qui ont voté pour le dirigeant turc lors de la dernière présidentielle.

"Erdogan s'emploie à mobiliser ici pour le référendum car les sondages montrent une étroite majorité opposée à la réforme en Turquie", explique-t-il à Reuters.

Ahmet Daskin, directeur de projet à la Fondation pour le dialogue et l'éducation, a déclaré que ses membres avaient récemment observé une forte hausse de messages haineux sur les réseaux sociaux.

"C'est bien pire qu'il y a quelques mois", a-t-il dit.

La fondation est proche du prédicateur turc Fethullah Gülen, ennemi juré d'Erdogan, accusé d'avoir orchestré la tentative de coup d'Etat du 15 juillet dernier en Turquie.

Le dirigeant de la fondation, Ercan Karakoyun, est actuellement en tournée en Allemagne pour promouvoir un livre mais ses apparitions publiques doivent toujours être effectuées en coordination avec la police, car il a reçu de nombreuses menaces de mort depuis le putsch manqué.

"Chaque fois qu'Erdogan fait monter d'un cran son discours, les menaces et le harcèlement reprennent de plus belle ici", souligne Ahmet Daskin. (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)