par John Irish et Andrew Osborn

ASTANA/MOSCOU, 24 janvier (Reuters) - Les pourparlers de paix d'Astana entre le gouvernement syrien et les rebelles sont un succès diplomatique pour la Russie, la Turquie et l'Iran mais ils ont également mis en lumière les limites de ce à quoi ces trois pays, à l'origine de la conférence, peuvent parvenir dans leurs efforts pour mettre un terme à six ans de guerre civile.

C'est la première fois en neuf mois que les deux camps se réunissaient, même si l'atmosphère est restée à la défiance dans l'hôtel Rixos qui a abrité les deux jours de discussions.

C'est la première fois aussi que la Russie, la Turquie et l'Iran étaient à la baguette, les Etats-Unis étant relégués au rang de simple observateur.

Le simple fait que la conférence ait eu lieu constitue un succès qui vient souligner le poids croissant qu'exercent Moscou, Ankara et Téhéran au Proche-Orient tandis que s'estompe l'influence de Washington. Alexander Lavrentiev, qui dirigeait la délégation russe, a même évoqué la "naissance" d'un nouveau format de négociation.

Astana a débouché, au terme de deux journées difficiles, sur une déclaration commune des trois "parrains" du processus qui s'engagent à instaurer un mécanisme de contrôle du cessez-le-feu fragile en vigueur depuis le 30 décembre.

Mais tout en saluant le communiqué, le négociateur en chef du gouvernement syrien, Bachar Dja'afari, ambassadeur de son pays à l'Onu, a déclaré que l'offensive en cours contre les rebelles à l'ouest de Damas se poursuivrait.

Mohamed Allouche, chef de la délégation des insurgés, a émis pour sa part des réserves et transmis à la Russie une proposition de cessez-le-feu général, ajoutant qu'il attend une réponse d'ici une semaine.

Il a également douté de la légitimité du rôle de médiateur qu'entend jouer l'Iran. Les Russes "se heurtent aux obstacles dressés par les forces du Hezbollah (chiite libanais), par l'Iran et par le régime syrien", dit-il, ajoutant que les insurgés n'accepteront jamais que l'Iran ait son mot à dire dans l'avenir de la Syrie.

PROBLÈME DE CRÉDIBILITÉ

Pendant deux jours, dans les couloirs de l'hôtel Rixos, des diplomates occidentaux, qui eux aussi voient dans l'Iran un obstacle plus qu'un médiateur, se sont mêlés aux journalistes pour tenter d'évaluer l'objet même de la conférence. Nombre de discussions tournaient autour d'une interrogation: la Russie souhaite-t-elle une réunion de suivi pour discuter dans les détails d'un communiqué final qui reste vague.

"Franchement, nous sommes perplexes", observe l'un d'eux. "Pourquoi la Russie fait-elle cela maintenant ? Qu'est-ce qui a changé pour qu'elle souhaite se désengager militairement et s'engager politiquement ?", s'interroge-t-il.

La Russie, dont l'intervention militaire fin septembre 2015 au côté du régime de Bachar al Assad a totalement modifié l'équilibre des forces en présence, doit de son côté convaincre de la crédibilité de sa médiation.

"Nous ne sommes pas opposés à la Russie parce que c'est la Russie mais nous avions un problème lorsque ses avions de chasse participaient avec le régime au massacre de notre peuple. Si ce rôle cesse, nous n'aurons plus de problème", fait observer Oussama Abou Zaïd, un porte-parole de l'opposition.

La Turquie enfin a un problème, mais cette fois aux yeux de la délégation gouvernementale syrienne qui voit mal comment elle pourrait être un médiateur alors qu'elle est militairement présente dans le nord de la Syrie depuis le déclenchement de l'opération "Bouclier de l'Euphrate" en août dernier et viole de ce fait la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie.

Symboliquement, Moscou souhaitait qu'Astana soit l'occasion d'une négociation en face à face entre les représentants d'Assad et des insurgés. Lavrentiev avait même déclaré avant la conférence que c'était là son "objectif principal".

Si les deux camps se sont bien assis autour de la grande table circulaire installée dans un salon de réception de l'hôtel, il n'y a pas eu de discussions directes et les organisateurs ont dû en passer par des intermédiaires transmettant les messages des deux délégations.

Andreï Kortounov, directeur du Conseil russe des affaires internationales, un centre d'études proche du ministère russe des Affaires étrangères, a déclaré à Reuters que ces discussions valaient pourtant "mieux que rien".

"Mais, ajoute-t-il, il n'existe pas de solution miracle." (avec Kinda Makieh, Olzhas Auyezov, Suleiman; al-Khalidi et Denis Dyomkin à Astana et Bozorgmehr Sharafedin à Dubai; Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français)