Traditionnellement, l'imposition de tarifs douaniers affaiblit une devise nationale, atténuant ainsi partiellement les pertes économiques. Pourtant, la décision choc du président américain, dévoilée le 2 avril, a eu l'effet inverse : elle a fait chuter le dollar, valeur refuge, et propulsé l'euro à la hausse. Soutenue également par un virage budgétaire majeur en Allemagne en faveur des dépenses publiques, la monnaie unique a bondi d'environ 10% depuis début mars, atteignant un sommet historique en termes d'échanges commerciaux pondérés, un indicateur clé pour la Banque centrale européenne. Près de la moitié de cette progression s'est concentrée sur le mois d'avril, plaçant l'euro sur la trajectoire de son meilleur mois depuis fin 2022.

10% de hausse de l'euro = -2% à -3% de bénéfices
Ce regain de vigueur constitue toutefois une mauvaise nouvelle pour une économie européenne dépendante des exportations. Selon Goldman Sachs, les entreprises du STOXX 600 réalisent 60% de leur chiffre d'affaires à l'étranger, dont près de la moitié aux Etats-Unis. "Une croissance plus faible combinée à un euro plus fort représente un double coup dur pour l'Europe", avertit Emmanuel Cau, responsable de la stratégie actions européennes chez Barclays. Historiquement, une appréciation soutenue de 10% de l'euro rogne entre 2% et 3% des bénéfices des entreprises, précise Dennis Jose, stratège actions en chef chez BNP Paribas. De quoi ajouter encore à l'incertitude qui pèse déjà sur les résultats du premier trimestre, minés par les droits de douane.
L'Allemagne, première puissance économique du continent, pourrait même connaître "une légère récession" en 2025, a prévenu Joachim Nagel, président de la Bundesbank. Le FMI, de son côté, a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l'ensemble de la zone euro, tant pour 2025 que pour 2026.
Des effets déjà visibles
Certains établissements financiers anticipent une poursuite de l'appréciation de l'euro, avec un seuil de 1,20 USD en ligne de mire. De quoi accentuer encore l'impact négatif sur les entreprises, qui, pour certaines, commencent déjà à sonner l'alerte.

Quatre épisodes mensuels à +4% au moins ces dernières années pour l'euro (Zonebourse avec PRT)
Unilever a ainsi vu son chiffre d'affaires du premier trimestre reculer, l'effet de change venant compenser partiellement la progression des ventes. SAP SE, première capitalisation européenne, estime que chaque hausse d'un centime de l'euro pourrait faire fondre son chiffre d'affaires annuel d'environ 30 millions d'euros. Quant à L'Oréal, le maintien d'un euro à 1,15 USD toute l'année pourrait réduire ses ventes nettes de près de 3%.
Outre la pression sur leurs résultats, les entreprises doivent faire face à une perte de compétitivité à l'international, dans un contexte où elles avaient déjà besoin d'un soutien supplémentaire pour dynamiser leur activité.
"Nous sommes un continent tourné vers l'exportation ; cela signifie qu'au final, la demande sera plus faible", souligne Marieke Blom, cheffe économiste chez ING.
Si la vigueur de l'euro permet aux consommateurs européens de bénéficier de prix d'importations plus bas, notamment pour l'énergie, elle risque d'affaiblir la croissance globale de la zone euro.
Se couvrir ou pas ?
Autre source d'inquiétude pour les entreprises : leur capacité à se protéger contre les fluctuations monétaires apparaît plus incertaine qu'à l'accoutumée.
SAP a ainsi expliqué à ses analystes qu'une grande partie de ses flux de trésorerie avait été couverte à un taux de change plus élevé, mais que les effets négatifs de l'appréciation de l'euro seraient pleinement visibles en 2026, une fois les couvertures expirées.
Selon Jackie Bowie, directrice régionale chez Chatham Financial, la couverture de change des entreprises a certes progressé cette année, mais elle tend à ralentir récemment, beaucoup d'entre elles craignant d'ancrer des taux encore plus défavorables, compte tenu de la rapidité de la chute du dollar.
Prolonger la durée des couvertures s'avère risqué, rappelle-t-elle, car les modifications rapides des flux commerciaux liées aux tarifs pourraient rebattre les cartes.
La majorité des sociétés s'appuient sur le marché des changes à terme pour se couvrir, tandis que les plus grandes recourent également aux options. Cependant, l'une des stratégies les plus répandues, la "vente de volatilité" — qui permet de percevoir des paiements lorsque les variations de devises restent contenues —, a quasiment disparu au cours des six dernières semaines en raison de la volatilité extrême, explique Aadith Raman, trader d'options FX chez Nomura.