* Funérailles quotidiennes pour les membres du Hezbollah tués en Syrie

* L'opposition syrienne appelle au retrait des combattants libanais

* Les djihadistes du Front al Nousra veulent "porter la bataille au Liban"

* Plusieurs roquettes sont tombées sur une ville chiite du nord du pays

par Oliver Holmes

BAALBEK, Liban, 27 avril (Reuters) - Le long des routes de la plaine de la Bekaa, dans l'est du Liban, les couleurs des portraits des combattants du Hezbollah tués lors d'affrontements contre Israël commencent à s'estomper. Mais pas les photos des nouveaux "martyrs" du mouvement chiite libanais.

Ces hommes sont morts en Syrie, en se battant au côté de l'armée du président Bachar al Assad contre les rebelles qui tentent depuis plus de deux ans de le renverser. Un conflit qui a déjà fait plus de 70.000 morts et menace de faire replonger le Liban dans la guerre civile.

Le Hezbollah, considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, est la force militaire la plus puissante au Liban et son implication dans le chaos syrien provoque la colère des sunnites, davantage favorables aux rebelles.

Baalbek, célèbre pour ses ruines romaines et bastion du "parti de Dieu" chiite, ressemble désormais à une ville de garnison. Les militants du Hezbollah en uniforme sont omniprésents. Tout comme les Jeep et Chevrolet aux vitres teintées, leurs véhicules préférés.

En ce mercredi après-midi, des rafales d'armes automatiques retentissent dans les rues étroites de la ville, saluant le retour du corps d'un nouveau combattant du Hezbollah tué de l'autre côté de la frontière syrienne, à seulement 12 kilomètres à l'Est.

Une trentaine de ses camarades s'alignent rapidement dans la rue, réajustant leurs bérets verts avant de porter le corps du défunt sur leurs épaules.

"On assiste à une ou deux cérémonies de ce genre chaque jour à Baalbek", confie à Reuters un jeune vendeur de produits électroniques, qui préfère taire son nom pour éviter les problèmes.

Un membre de la police du Hezbollah en t-shirt bleu demande à Reuters de ne pas filmer les funérailles. "Il y a cinq ou six martyrs du Hezbollah tous les jours dans le nord du Liban", explique-t-il.

SECRET DE POLICHINELLE

Le Liban, qui a été occupé par l'armée syrienne pendant 29 ans, jusqu'en 2005, a essayé de se tenir le plus possible à l'écart du conflit en Syrie.

Mais il n'a pu empêcher l'afflux de réfugiés, notamment dans les villages sunnites le long de la frontière, où les rebelles ont trouvé à la fois un abri à peu près sûr et un soutien médical, alimentaire et logistique

Sans parler des combattants sunnites libanais qui ont pu franchir la frontière dans l'autre sens. Leur nombre est difficile à établir mais douze d'entre eux ont été tués par l'armée syrienne en novembre près de Homs.

Les habitants de Tripoli, la principale ville du nord du Liban, théâtre d'affrontements sporadiques entre sunnites et alaouites - la communauté de Bachar al Assad - disent aussi que certains des leurs sont partis combattre en Syrie.

Le président syrien, dont les fidèles n'ont pas hésité de leur côté à bombarder, voire à intervenir à plusieurs reprises sur le sol libanais, a appelé Beyrouth à lutter à ses côtés contre les "groupes terroristes soutenus par l'étranger".

Le Hezbollah, qui s'est constitué en tant que mouvement de résistance contre l'occupation israélienne pendant la guerre civile libanaise, de 1975 à 1990, n'est manifestement pas resté insensible à l'appel de son allié.

Officiellement, certes, le mouvement de Hassan Nasrallah ne participe pas au conflit.

Interrogé sur l'intensification des combats dans la région frontalière, où l'armée syrienne et le Hezbollah auraient lancé ces derniers jours une offensive coordonnée contre les rebelles, le responsable de la communication du groupe chiite, Ibrahim Moussaoui, élude: "Depuis deux ans, notre position officielle est de ne pas faire de commentaire."

L'implication de plus en plus forte du Hezbollah en Syrie est pourtant un secret de Polichinelle.

Michael Young, un chroniqueur du journal libanais Daily Star, a estimé jeudi dans une de ses tribunes que le mouvement chiite avait sans doute fini par céder à la pression de l'Iran, principal financier du Hezbollah et allié indéfectible de Bachar al Assad, au risque de perdre de sa crédibilité sur la scène intérieure.

"CHAIR À CANON"

"Le fait de transformer le Hezbollah en chair à canon pour le régime syrien, à la demande de l'Iran, ne fait certainement pas plaisir au parti", a-t-il écrit. "Il y a un prix à payer pour repousser ainsi les frontières du système confessionnel libanais. Et ce prix pourrait être la destruction progressive (du Hezbollah) ou, pire, une guerre civile au Liban."

Moaz Alkhatib, une des figures de proue de l'opposition syrienne, ne s'y est pas trompé en s'adressant directement à Hassan Nasrallah mercredi soir.

"Le sang de vos enfants du Liban ne devrait pas couler en luttant contre nos enfants opprimés en Syrie", a-t-il dit dans une vidéo, après des affrontements particulièrement violents dans la province de Homs, où les combattants chiites libanais seraient les plus actifs.

"L'intervention du Hezbollah en Syrie a sérieusement compliqué les choses", a ajouté l'ancien imam sunnite de la mosquée des Omeyyades, à Damas.

Au Liban, plusieurs prédicateurs sunnites influents ont déjà appelé leurs fidèles à prendre les armes contre le Hezbollah et à le combattre en Syrie au côté des rebelles.

Mais la crainte d'une résurgence des violences interconfessionnelles sur le sol libanais est également bien réelle, d'autant qu'une des factions les plus influentes de la rébellion syrienne, le Front al Nousra, lié à Al Qaïda, a promis de "porter la bataille au Liban".

Ces deux dernières semaines, plusieurs roquettes de type Grad sont tombées sur Hermel, une ville libanaise à majorité chiite, à 45 km au nord de Baalbek.

Aucune n'a fait de victime, mais le maire de la ville, Hadj Sakr, se dit déterminé à défendre sa ville contre les "terroristes" syriens.

A quelques kilomètres plus au nord, les combattants du Hezbollah se massent sur la route en direction de la frontière, tandis que le service d'ambulances du "parti de Dieu" assure un va-et-vient constant.

Soudain, un chasseur syrien pénètre légèrement l'espace aérien libanais, vire brutalement sur une aile et largue deux bombes sur un village invisible dans le lointain. (Avec Dominic Evans; Tangi Salaün pour le service français)