S&P Dow Jones a annoncé vendredi 1er novembre que Nvidia et Sherwin-Williams allaient remplacer respectivement Intel et Dow Inc. dans l'indice Dow Jones à compter du 8 novembre. Je vous renvoie sur cet article de mon collègue qui explique pourquoi Nvidia a pu rejoindre l’indice. Nous allons ici nous occuper de présenter The Sherwin-Williams Company.
Histoire
Sherwin-Williams est donc le plus grand producteur de peintures et de revêtements au monde en termes de chiffre d'affaires. Il se positionne comme le leader du marché de la peinture architecturale en Amérique du Nord. Son logo au look années 70 nous indique que l’entreprise a déjà une longue histoire en bourse. Fondée en 1866, l’entreprise cote depuis 1964 au NYSE. De là, on comprend mieux son intégration au sein du Dow Jones qui récompense les entreprises jouissant d’une “excellente réputation”.
L’histoire remonte à 1870, lorsqu’Henry Sherwin rachète le distributeur de matériaux de peinture Truman Dunham et s'associe à Edward Williams et A. T. Osborn pour créer Sherwin, Williams & Company à Cleveland. L'entreprise a commencé à fabriquer des peintures en 1871 et est devenue leader de l'industrie après avoir amélioré le moulin à broyer la peinture au milieu des années 1870, breveté un pot refermable en 1877, et perfectionné la peinture liquide en 1880. De plus, c’est en 1874 que Sherwin-Williams introduit une peinture spéciale pour les carrosses, posant ainsi les bases des peintures à usage spécifique. L’entreprise s'est incorporée en 1884 et a ouvert une concession au Massachusetts en 1891, précurseur de ses magasins de détail exploités par l'entreprise. En 1900, la société avait déjà des peintures pour les sols, les toits, les granges, les ponts métalliques, les wagons de chemin de fer et les automobiles. C’est à cette période qu’elle adopte son célèbre logo “Cover the Earth” qu’elle ne quittera plus.
Les deux premières décennies du vingtième siècle ont été marquées par une croissance remarquable de l'entreprise, dont les ventes sont passées de 2,3 millions de dollars en 1900 à 34,2 millions de dollars en 1919. Au cours de cette période, l'entreprise a également ouvert ses premiers magasins de détail Sherwin-Williams. Avec le réseau de concessionnaires existant, cela lui permet d'ouvrir de nouveaux débouchés pour ses produits. Au début des années 1920, Sherwin-Williams est de loin le plus grand fabricant de revêtements aux États-Unis. Dans les années 1940, la société se tourne vers le développement de produits pour créer de la croissance. Au début des années 1940, elle lance la peinture Kem-Tone, une peinture à base d'eau à séchage rapide pour l'intérieur des maisons, et le “Roller-Koater”, un outil de peinture à appliquer au rouleau qui remplace le pinceau. En 1960, les ventes nettes atteignent 282 millions de dollars et la société est cotée à la bourse de New York en 1964.
Cependant, la hausse des coûts des matières premières a réduit les marges de profit à un niveau historiquement bas. L'augmentation des ventes a partiellement compensé ces coûts, mais la concurrence des discounters, la pression d'autres fabricants et les investissements dans la modernisation ont pesé sur les bénéfices futurs. Dans les années 1970, ces défis ont forcé l'entreprise à vendre certaines de ses activités et à fermer plus de 100 magasins. Elle a aussi repoussé une tentative de rachat par Gulf Western. Mais après être passée au bord de la faillite puis avoir renoué avec les bénéfices, l’entreprise se lance dans une série d’acquisitions stratégiques au cours des années 90 et 2000.
Ainsi, depuis 1984, l’entreprise affiche une croissance de son chiffre d'affaires annualisé de 6,37 % par an, tandis que son cours de bourse croît de 15,92 % par an sur la même période, c’est plus que le S&P 500 ! De plus, l’entreprise fait partie des Dividend Aristocrates avec 45 années consécutives d'augmentation des dividendes.
Business model & marché
Sherwin-Williams opère trois segments : le groupe des magasins de peinture, le groupe des revêtements de performance et le groupe des marques grand public.
Le groupe des magasins de peinture ou Paint Store Group (PSG) représente environ 56 % des ventes totales de la société. À travers ses quelque 4 695 magasins spécialisés, le segment vend de la peinture architecturale et des revêtements, des matériaux de protection et marins, et des finitions pour fabricants d'équipement d'origine (OEM) et des produits connexes.
Le segment des marques grand public ou Consumer Brands Group (CBG) de la société offre de la peinture architecturale, des vernis, des finitions et des conservateurs pour le bois, et d'autres produits connexes aux détaillants et distributeurs. Il comprend près de 320 magasins spécialisés exploités par la société. Le segment génère environ 14 % des revenus de Sherwin-Williams.
Le groupe des revêtements de performance ou Performance Coatings Group (PCG) de Sherwin-Williams fournit des revêtements industriels pour la finition du bois et des applications industrielles générales (métal et plastique), la retouche automobile, les revêtements de protection et marins, les revêtements en bobine, les revêtements d'emballage et les résines et colorants performants à l'échelle mondiale. Les produits de Sherwin-Williams et d'autres marques contrôlées sont distribués à travers le groupe des magasins de peinture. Cette division représente près de 30 % des ventes de Sherwin-Williams.
Le Moat de Sherwin-Williams
Le “moat”, qui signifie douve en anglais, symbolise l’avantage compétitif d’une entreprise. Ainsi, Sherwin-Williams se distingue sur le marché américain de la peinture professionnelle par un avantage compétitif quasi monopolistique, soutenu par une grande échelle de production et un réseau dense de distribution. Notons que l’entreprise n’a aucun concurrent sur le segment des magasins de peinture. Cette position dominante permet à l'entreprise non seulement de maintenir une croissance constante de la qualité de ses activités, mais aussi d'élargir sa marge opérationnelle au cours des trois dernières décennies.
La performance financière du groupe est impressionnante. SHW réalise un chiffre d’affaires conséquent de 23,1 milliards USD pour un EBITDA ajusté de 4,2 milliards en 2023. Ces performances s’accompagnent d’une gestion efficace avec une marge d’EBITDA de 18 % en 2023 ainsi qu’un ROE de 70 % la même année, témoignant d’un avantage compétitif certain. Ce même ROE se maintient dans une fourchette comprise entre 30 et 70 % même lors d’épisodes de crises comme pendant les subprimes de 2008-2009 (28%) ou plus récemment pendant la pandémie (52% en 2020). De même, la marge opérationnelle est conséquente à hauteur de 18,39 % ce trimestre (moyenne trimestrielle de 14,3 % sur les cinq dernières années).
La pandémie de COVID-19, en mettant l'accent sur l'aspect "Do-It-Yourself" (DIY), a contribué à une croissance soutenue des flux de trésorerie de l'entreprise. Cette dynamique positive a facilité une gestion efficace de son endettement. Au 30 septembre 2024, SHW disposait d'environ 3,26 milliards USD de liquidités totales (contre 2,54 milliards USD au trimestre précédent). La dette totale par rapport à l'EBITDA ajusté des 12 derniers mois s'est améliorée, passant de 2,4x au T2 à 2,3x. De même, le ratio de couverture des intérêts EBIT/Intérêts s'élève à 10,42, signifiant que l'entreprise génère plus de dix fois le bénéfice d'exploitation nécessaire pour couvrir ses paiements d'intérêts.
Il convient toutefois de relever que le quick ratio (ou ratio de liquidité immédiate) et le current ratio (ou ratio de liquidité générale) pâtissent cependant d'une politique de zéro cash. En effet, le premier mesure la capacité d'une entreprise à faire face à ses obligations à court terme avec des actifs pouvant être rapidement convertis en liquidités ; le second mesure la capacité d'une entreprise à rembourser ses dettes à court terme en utilisant ses actifs courants. Ainsi, le quick ratio est de 0,45 et le current ratio est de 0,83 ce trimestre. Ces ratios, bien qu'assez faibles (<1), peuvent être mis en perspective avec la solidité du business, même lors de crises. De plus, l'entreprise, étant en position de force sur le marché, bénéficie d'un fort pouvoir de négociation avec ses fournisseurs, ce qui lui donne également une marge de manœuvre plus grande en cas de crise.
L'engagement des employés et des dirigeants de Sherwin-Williams est également un indicateur de la confiance en la solidité et la pérennité de l'entreprise. Le plan 401(k) (fonds de pension de l’entreprise) du groupe est le deuxième actionnaire le plus important, avec 7,4 % des actions. Cela dénote une confiance intrinsèque dans la valeur et la direction de l'entreprise. Le top management détient cependant 1 % de l’actionnariat, ce qui est courant eu égard à la taille de l’entreprise. Dans le même temps, relevons que les investisseurs institutionnels détiennent 81 % du capital.
Enfin, comme mentionné précédemment, le groupe tient aussi à conserver sa politique de ne pas détenir de cash. Actuellement classée parmi les Dividend Aristocrats, l'entreprise est sur le point de devenir Dividend King dans cinq ans, après avoir augmenté ses dividendes pendant 50 années consécutives. Ainsi, le payout ratio est assez faible (28,3 %), ce qui laisse encore du levier pour garantir la croissance continue des dividendes. De même, en l'absence d'acquisitions majeures (comme c’est le cas actuellement), la société procède à des rachats d’actions réguliers.
Malgré un cours d'action souvent considéré comme élevé, les investisseurs sont généralement prêts à payer une prime pour Sherwin-Williams en raison de la solidité de son moat, notamment sa forte distribution physique, qui reste l'un des plus solides du secteur. Ainsi, le PER de l’entreprise s’élève à 37,5x, bien au-dessus de la moyenne des pairs qui se situe autour de 23x. Enfin, SHW est également très suivie sur les marchés. En effet, 29 analystes suivent l’entreprise ; parmi eux, 10 sont à "l’achat", 5 à "accumuler", 12 à "conserver" et deux sont à "alléger" et "vendre".
Les leviers d’une croissance stable
Le groupe a plusieurs stratégies de croissance. En premier lieu, celui-ci s’appuie sur une croissance externe par l’acquisition d’entreprises. SHW a réalisé 16 transactions sur la dernière décennie dont sa plus grosse OPA sur Valspar, pour 11,3 milliards USD en 2016, lui permettant de s’exposer aux revêtements industriels. Ainsi, cette stratégie lui permet de toucher de nouveaux marchés et en créant ainsi de nombreuses synergies en son sein. C’est ainsi que Sherwin-Williams est entré sur le marché européen des revêtements automobiles en acquérant l'italienne ScottWarren en 2000 et qu’il a amélioré sa présence en Chine en achetant Jiangsu Pulanna Coating Co. en 2012.
Une fois sa gamme de produits élargie par des acquisitions mais aussi par un département R&D conséquent (2200 brevets), l’entreprise procède à une croissance organique soutenue, surtout par le marché nord-américain (45 nouveaux magasins ont été ouverts en 2024 dans cette zone). Notons tout de même que les marchés européens, asiatiques et latino-américains ont un modèle de fonctionnement différent qui repose sur des magasins proposant des gammes élargies de produits et non pas seulement de la peinture. Cela rend difficile l’exportation du modèle PSG. Cependant, de nombreux partenariats sont en place afin d’exporter les produits de la compagnie. En France, l’entreprise est en relation avec Brico Dépôt ou encore Castorama.
De plus, la dynamique de baisse des taux d'intérêts pouvant stimuler le marché immobilier en Amérique du Nord représente également une dynamique à prendre en compte. SHW a de nombreux contrats avec des entreprises du bâtiment à travers le pays afin d'écouler ses produits sur les nouveaux projets immobiliers, notamment résidentiels. Cependant, cette dynamique est actuellement menacée par le segment du DIY, affecté négativement par les niveaux élevés d'endettement des consommateurs et par l'inflation.
Risques :
- Saisonnalité : la majorité du chiffre d'affaires est traditionnellement réalisée au cours des deuxième et troisième trimestres. Les périodes de ralentissement économique peuvent toutefois modifier ces schémas saisonniers.
- Matières premières : la pénurie et des augmentations inattendues du coût des matières premières et de l'énergie peuvent avoir un effet négatif sur les revenus ou lesflux de trésorerie.
- Catastrophes naturelles : notons que l'entreprise a dû temporairement fermer 225 points de vente en Floride lors du passage de l'ouragan Milton. Les pertes sont limitées, mais ces événements récurrents peuvent menacer la profitabilité du groupe.
- Controverses : le groupe a pu être impliqué par le passé dans des problèmes judiciaires liés à certaines de ses peintures nocives pour la santé et l'environnement. Ces problèmes nuiraient potentiellement à l'image de marque du groupe.
- Modèle : le modèle de SHW aux États-Unis opère sur un marché mature; cependant, ce dernier est difficilement exportable en Europe ou en Asie où les habitudes des consommateurs sont différentes, en particulier sur le segment PSG.
Nous sommes donc en présence d'un multibagger dont la capitalisation boursière a été multipliée par 25 au cours des 20 dernières années. Sherwin-Williams représente un exemple emblématique d'une valeur de qualité avec un moat certain dans la fourniture de peinture aux États-Unis et dans le monde entier. L'entreprise a démontré sa capacité à maintenir une croissance constante, année après année, soutenue par une combinaison de facteurs, notamment une échelle de production imposante, un réseau de distribution dense, et une capacité à élargir sa marge opérationnelle sur plusieurs décennies.