* Une peine sévère fondée sur un faisceau d'indices

* La défense avait dénoncé une faiblesse des preuves

* Les juges ne retiennent pas la complicité d'assassinats

* Un signal de fermeté à l'adresse des candidats djihadistes (Avec verdict, précisions, déclarations, contexte)

par Emmanuel Jarry

PARIS, 2 novembre (Reuters) - Abdelkader Merah, frère du tueur de militaires et d'enfants juifs Mohamed Merah, a été condamné jeudi à 20 ans de prison, dont il devra purger au moins les deux tiers, un verdict en forme d'avertissement pour les soutiens des djihadistes.

Cet ex-caïd de quartier franco-algérien de 35 ans, converti depuis 2006 à un islam radical, soupçonné d'avoir été le mentor de son cadet, était jugé pour participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle et complicité d'assassinats.

La cour a retenu sa participation à une association de malfaiteurs terroriste criminelle, pour laquelle elle lui a infligé la peine maximale, mais pas la complicité d'assassinats qui aurait pu lui valoir la perpétuité, comme l'avait requis l'avocate générale Naïma Rudloff.

Les avocats de la partie civile se sont déclarées satisfaites, même si la peine maximale qu'ils souhaitaient pour Abdelkader Merah n'a pas été prononcée.

"Nous respectons cette décision de justice", a dit Me Olivier Morice, avocat d'une d'entre elles. "Ce qu'il faut reconnaître et saluer, c'est que la justice française a condamné sereinement des terroristes pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste."

La défense d'Abdelkader Merah a dit envisager de faire appel mais s'est montrée modérée sur la décision de la cour d'assises.

"En acquittant Abdelkader Merah du crime de complicité d'assassinat, la cour d'assises a rappelé que, même dans les affaires de terrorisme les plus graves, la preuve et la règle de droit n'étaient pas reléguées au rang d'accessoires", a dit aux journalistes Eric Dupond-Moretti.

Mohamed Merah a été tué le 22 mars 2012 dans l'assaut de l'appartement où il s'était retranché après avoir abattu trois militaires, trois écoliers de l'école juive Ozar Hatorah de Toulouse et le père de deux d'entre eux, les 11, 15 et 19 mars.

Ces assassinats, revendiqués par les "Soldats du Califat", groupe affilié à Al Qaïda avec lequel il avait pris contact au Pakistan, ont bouleversé la perception du terrorisme islamiste, qui a fait plus de 240 morts en France depuis janvier 2015.

Abdelkader Merah a nié jusqu'au bout son implication dans l'équipée meurtrière de son cadet.

"Je dis et redis que je n'ai rien à voir avec les assassinats commis par mon frère", s'est-il borné à déclarer jeudi matin à la cour, avant que les magistrats professionnels qui la composent se retirent pour délibérer.

Contrastant avec l'absence apparente d'émotion manifestée par Abdelkader Merah, le deuxième prévenu, Fettah Malki avait demandé le pardon des familles de victimes. "A aucun moment j'ai pu penser que Mohamed allait commettre de telles atrocités et je m'en voudrai jusqu'à la fin de mes jours", a-t-il dit.

La cour, qui a retenu à son encontre l'association de malfaiteurs terroriste criminelle mais pas la complicité d'assassinats, l'a condamné à 14 ans de prison, avec également une peine de sûreté des deux tiers.

INTIME CONVICTION

Né en Algérie il y a 35 ans, ce délinquant multirécidiviste de la cité toulousaine des Izards, où il a cotoyé Mohamed Merah, lui avait fourni un pistolet mitrailleur Uzi, une arme utilisée dans l'attaque de l'école Ozar Hatorah, et un gilet pare-balle.

Les avocats d'Abdelkader Merah s'étaient efforcés mardi de démontrer que l'accusation n'avait apporté ni la preuve de la complicité de leur client avec l'équipée meurtrière de son frère, ni celle de sa participation à une association de malfaiteurs. Ils avaient demandé son acquittement.

Comme les avocats de Fettah Malki, ils avaient mis en garde la cour contre un procès pour l'exemple et une triple pression : le souci de faire oublier les défaillances de l'Etat, l'opinion publique en quête de coupables et la douleur de familles des victimes très présentes pendant ce procès émaillé d'incidents.

Malgré le manque de preuves incontestables, la cour a jugé suffisant pour condamner Abdelkader Merah le faisceau d'indices rassemblés par l'accusation, comme la découverte chez lui d'un manuel du djihadiste sous la forme d'enregistrements d'un cadre d'Al Qaïda, sa présence lors du vol du scooter utilisé par le tueur ou auprès de ce dernier avant et après chaque tuerie.

AVERTISSEMENT AUX "REVENANTS"

La sévérité de la peine est un nouveau signal de la volonté de la justice et des autorités françaises d'être intraitables avec les éléments radicalisés tentés d'adhérer à l'idéologie et aux objectifs de l'organisation de l'Etat islamique, dont le recul au Levant entraînera de nombreux retours en France.

"C'est un appel lancé à l'intention de l'opinion publique et de tous ceux qui sont susceptibles de croiser sur leur chemin des gens qui ont une réputation sulfureuse dans cette matière là : faites attention, à partir du moment où vous participez avec eux, que ce soit dans le projet intellectuel ou dans le projet physique vous serez condamnés pour et dans le cadre d'une association de malfaiteurs terroriste criminelle", a déclaré Edouard Martial, avocat de Fettah Malki.

Au fil des procès liés au terrorisme islamique, cette fermeté avait déjà été clairement affichée.

Ainsi en juin, le leader de la cellule djihadiste dite de Cannes-Torcy, Jérémy Bailly, a été condamné à 28 ans de prison et huit autres membres présumés à des peines de 12 à 20 ans.

Le 28 septembre la mère d'un jeune djihadiste présumé mort en Syrie en août 2016, Belabbas Bounaga, a été condamnée à deux ans de prison pour "financement du terrorisme", pour avoir envoyé de l'argent à son fils avant qu'il rejoigne Daech.

Un beau-frère d'Abdelkader Merah, ex-mari de sa soeur Souad, Abdelouahed el Baghdadi, candidat présumé au djihad arrêté en 2014 à son retour de Syrie, a pour sa part été condamné le 20 octobre à Paris, en correctionnelle, à neuf ans de prison.

Les peines, pour les djihadistes français "revenants" d'Irak ou de Syrie, pourraient à l'avenir être plus lourdes.

Le parquet de Paris a en effet décidé au printemps 2016 de qualifier de crimes passibles de 20 ans de prison ou plus des infractions considérées jusque-là comme des délits. Ce sera le cas des personnes parties combattre dans les rangs de Daech.

Un juge antiterroriste évalue la proportion des dossiers pouvant être renvoyés aux assises à deux tiers des affaires en cours d'instruction. Cela annonce une explosion des procès en assises pour des faits liés à l'islamisme radical. (Avec Sophie Louet, édité par Yves Clarisse)