A la demande de certains lecteurs semble-t-il friands du genre, dans le même esprit que ce que nous avions fait pour Publicis, Orange ou Capgemini, entre autres et par exemple, nous utiliserons plutôt le prétexte des résultats de l’exercice 2024 pour prendre du recul et procéder à une évaluation objective de la performance économique à long terme d’Air Liquide.
Prenons à cette fin le cycle décennal 2015-2024, soit dix années pleines, qui débute on s’en souvient par l’acquisition transformatrice de l’américain Airgas en 2016 pour la bagatelle de €12 milliards.
Bien exécutée, applaudie par les analystes de Zonebourse à l’époque, cette opération fit immédiatement progresser la capacité bénéficiaire annuelle du groupe de €1.2 à €1.4 milliard supplémentaire en l’espace de vingt-quatre mois ; le retour sur investissement a donc été rapide et satisfaisant.
En dix ans, le chiffre d’affaires passe donc de €15.8 à €27.1 milliards entre le début et le terme de la période, soit une croissance annualisée de 6.2% ; tandis que le profit cash avant acquisitions, ou cash-flow libre, passe lui de €852 millions à €3 milliards, c’est-à-dire de €1.6 à €5.2 par action, soit une croissance annualisée — splendide — de 14%.
De façon assez atypique pour une activité industrielle exigeante sur le plan capitalistique — les investissements dans les immobilisations consomment une bonne moitié des cash-flows d’exploitation — le résultat comptable et le profit cash sont ici parfaitement identiques et réconciliables ; la comptabilité d’Air Liquide est à ce titre très transparente.
Les analystes de Zonebourse calculent que le groupe a généré en agrégat €24 milliards de cash-flow libre au long de la décennie. A partir de ce montant, sans s’arrêter à la virgule près, en arrondissant, disons que €13 milliards — nets des désinvestissements — ont été orientés vers les acquisitions, on l’a vu très essentiellement pour le rachat d’Airgas ; mineures, les autres opérations étaient « bolt-on », comme on dit dans le jargon financier.
En parallèle, €14 milliards ont été retournés aux actionnaires, dont un peu moins de €13 milliards via une distribution soutenue de dividendes, en augmentation continue année après année. On notera que la couverture du dividende demeure très confortable — grosso modo 60% du cash-flow libre — et qu’Air Liquide fait du levier financer un usage extrêmement limité.
Un usage plus agressif dudit levier — qui viserait à remplacer les capitaux propres par de l’endettement — dynamiserait nettement la rentabilité des capitaux propres. Si Air Liquide était un groupe américain coté aux Etats-Unis, il ne fait guère de doute que des actionnaires, des analystes ou des activistes plaideraient activement en ce sens, confortés dans leurs revendications par la nature défensive des activités du groupe.
L’avis de Zonebourse est qu’il est tout à fait à l’honneur de son management de procéder comme il le fait, c’est-à-dire de manière conservatrice, en bon gestionnaire paré à toute éventualité. Son historique en matière de performance opérationnelle et de croissance des profits n’a d’ailleurs rien à envier à ceux de comparables davantage portés sur des ingénieries financières agressives — au contraire.
Le marché ne s’y trompe pas, puisque la valorisation actuelle du groupe évolue à des multiples assez nettement supérieurs à leurs moyennes historiques. Les voir repasser en-dessous de ces seuils représenterait un signal fort, et selon toute vraisemblance une opportunité d’acquisition ou d’accumulation évidente.