Le cimentier Lafarge, filiale du groupe suisse Holcim, comparaît à partir de mardi devant le tribunal français, accusé d'avoir financé le terrorisme et violé les sanctions européennes afin de maintenir l'activité de son usine dans le nord de la Syrie durant la guerre civile.

Les juges d'instruction estiment que Lafarge a versé au total 5 millions d'euros (5,83 millions de dollars) entre 2013 et septembre 2014 à des groupes djihadistes, dont l'État islamique et le Front al-Nosra, affilié à al-Qaïda, tous deux désignés comme organisations terroristes par l'Union européenne.

Il s'agit d'une première en France qu'une entreprise soit jugée pour des faits de financement du terrorisme.

Lafarge, intégrée au groupe Holcim coté en Suisse depuis 2015, ainsi que huit personnes, dont d'anciens dirigeants, font l'objet d'une enquête du parquet antiterroriste depuis 2017.

Dans un communiqué publié mardi, Lafarge souligne que l'affaire concerne « des faits survenus il y a plus de dix ans et en violation flagrante du Code de conduite de Lafarge SA. Aucun des anciens dirigeants poursuivis à titre individuel n'est aujourd'hui employé par Lafarge SA ou une entité affiliée. »

Lafarge affirme traiter le dossier de manière responsable dans le cadre de la procédure judiciaire.

Procédure distincte aux États-Unis déjà jugée

Dans une affaire distincte aux États-Unis, Lafarge a reconnu en 2022 que sa filiale syrienne avait versé 6 millions de dollars à l'État islamique et au Front al-Nosra pour permettre à ses employés, clients et fournisseurs de franchir les points de contrôle après le début du conflit civil en Syrie.

Le groupe a accepté de payer 778 millions de dollars en confiscations et amendes dans le cadre de cet accord de plaider-coupable.

En France, Lafarge encourt des amendes bien inférieures si elle est reconnue coupable.

Les huit personnes poursuivies risquent jusqu'à 10 ans de prison. Elles et Lafarge sont accusées d'avoir organisé différents paiements à des groupes armés.

L'usine syrienne de Lafarge mise en service peu avant l'insurrection

Le site de Jalabiya, dans le nord de la Syrie, acquis par Lafarge en 2008 pour 680 millions de dollars, a démarré sa production en 2010, quelques mois avant le début du soulèvement syrien début 2011.

Les employés logeaient dans la ville voisine de Manbij, sur la rive ouest de l'Euphrate, et devaient traverser pour accéder à l'usine. Parmi les paiements en cause, 3 millions d'euros auraient été versés pour assurer la sécurité aux points de passage, selon les enquêteurs.

Par ailleurs, 1,9 million d'euros auraient été utilisés pour acheter des matières premières extraites de carrières sous contrôle de l'État islamique.

Le procès doit se poursuivre jusqu'au 16 décembre.

Lafarge fait également l'objet d'une enquête pour complicité de crimes contre l'humanité quant à la manière dont l'entreprise a maintenu l'activité de son usine en Syrie.

($1 = 0,8575 euro)