par Yoo Choonsik et Nopporn Wong-Anan

Le dollar, sous pression depuis plusieurs semaines parce que les marchés pensent que la Réserve fédérale de Etats-Unis prendra de nouvelles mesures d'assouplissement quantitatif (QE) - opinion étayée par le compte rendu de sa dernière réunion publié mardi - a encore fortement baissé jeudi après que Singapour eut annoncé un élargissement inattendu de la marge de fluctuation de sa monnaie.

Le dollar a ainsi touché jeudi un nouveau plus bas de 15 ans à moins de 81 yens et il ne semble pas que la Banque du Japon ait réagi, ont signalé des cambistes.

Pendant ce temps, le Japon et la Corée du Sud échangent des amabilités. Le ministre japonais des Finances Yoshihiko Noda a mis en doute mercredi la capacité de la Corée du Sud à présider le Groupe des Vingt (G20) en raison, selon lui, des interventions répétées de Séoul sur le marché des changes.

Selon la radiotélévision sud-coréenne KBS, Séoul s'est plaint par téléphone auprès de Tokyo des propos de Yoshihiko Noda.

Le Japon lui-même était intervenu sur le marché des changes le mois dernier pour freiner la montée du yen.

ARME À DOUBLE TRANCHANT

Les pays dits émergents sont courtisés par des investisseurs qui n'arrivent plus à trouver chez les grandes puissances économiques les rendements souhaités, ne serait-ce que parce que les taux directeurs de ces pays sont à des plus bas sans précédent, voire nuls.

Confrontés à un afflux massif de capitaux, ces pays tendent à prendre des mesures de leur propre chef pour freiner une appréciation de leur monnaie face à un dollar mal en point, appréciation préjudiciable à leurs exportations.

Ces gigantesques flux nourrissent des déséquilibres mondiaux qui risquent de remettre en cause la reprise après la crise financière sans précédent depuis des décennies que le monde vient de traverser, et peuvent à terme alimenter un protectionnisme qui ne ferait qu'aggraver les choses, craignent les autorités monétaires.

Le risque d'une "guerre des monnaies" pousse déjà certaines firmes multinationales à mettre sous le boisseau des projets d'investissement à l'étranger, remarque James Zhan, directeur de la division de l'investissement et des entreprises à la Cnuced (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement).

En conséquence, l'investissement direct étranger (IDE), une source de financement essentielle pour les pays en développement, risque de stagner à 1.100 milliards de dollars environ cette année, soit un quart de moins que ses montants immédiatement antérieurs à la crise financière, ajoute James Zhan.

Les dévaluations compétitives sont une arme à double tranchant pour l'investissement, dit-il, ajoutant qu'il y a bel et bien un "danger de guerre des devises".

La Cnuced remarque que la baisse de l'IDE est particulièrement prononcée pour les pays développés.

Ainsi la Grande-Bretagne, l'une des destinations traditionnelles de l'investissement international, a subi au deuxième trimestre des sorties financières de sept milliards de dollars contre des entrées de 42 milliards de dollars les trois mois précédents.

Des sorties ont aussi été constatées en Belgique et en Irlande, tandis que les flux d'investissement vers les Etats-Unis, principale destination des placements mondiaux, se sont réduits presque de moitié à 28,5 milliards de dollars au premier trimestre.

CHIFFON ROUGE

Pour Christian Noyer, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, le terme de "guerre des monnaies" n'est "pas tout à fait exact". Mais il a appelé les principales puissances économiques mondiales à éviter une course aux dévaluations qui pénaliserait un système financier international encore fragile.

Dans ce contexte tendu, la publication vendredi du rapport semestriel sur les changes du Trésor américain sera particulièrement suivie, en admettant qu'elle ait bien lieu. Le gouvernement américain fera peut-être alors savoir s'il accuse officiellement la Chine de manipuler sa monnaie ou s'il s'abstient.

La Banque populaire de Chine, qui continue d'encadrer rigoureusement le taux de change du yuan, a laissé ce dernier s'apprécier à 6,6562 par dollar jeudi, au plus haut depuis le désancrage officiel par rapport au dollar en juillet 2005.

Pour Max Baucus, le président de la commission financière du Sénat en déplacement en Chine, si Pékin laisse le marché déterminer le yuan, les Etats-Unis pourront créer jusqu'à 500.000 emplois.

Pas du tout, réplique Andy Rothman, économiste de la banque d'investissement CLSA à Shanghai. Si la Chine devient trop chère, ce seront d'autres pays à revenus plus bas qui bénéficieront de délocalisations et la production ne reviendra pas aux Etats-Unis.

"Pékin ne peut absolument rien faire pour satisfaire des politiciens américains qui brandissent le yuan comme un chiffon rouge pour distraire un électeur très remonté contre Washington", dit-il.

Avec Noah Barkin et Alan Wheatley, Wilfrid Exbrayat pour le service français, édité par Dominique Rodriguez