* L'Allemagne et la France protègent la banque "universelle"

* Les recommandations de Liikanen plus strictes

* Barnier et la BCE également défavorables à la séparation

par Matthias Blamont et Matthias Sobolewski

PARIS/BERLIN, 30 janvier (Reuters) - Tout comme la France, l'Allemagne se prépare à réformer a minima son système bancaire, une orientation qui sape de facto les propositions de la commission Liikanen chargée de redéfinir les règles du secteur en Europe.

Selon un projet de loi que Reuters a pu consulter mercredi, et qui sera présenté en conseil des ministres le mois prochain, les banques allemandes seront contraintes d'isoler leurs activités pour compte propre si elles représentent plus de 100 milliards d'euros au bilan ou 20% du bilan total de l'établissement concerné.

Les banques du pays devraient parallèlement être autorisées à mener des activités de trading pour le compte de leurs clients ainsi que des activités de tenue de marché (market making) sans pour autant avoir à les cantonner dans une filiale dédiée. (voir )

Ces nouvelles dispositions pourraient entrer en vigueur en janvier 2014 mais les banques devraient bénéficier d'un délai supplémentaire, jusqu'en juillet 2015, pour procéder à la séparation effective de leurs activités à risque.

L'architecture du projet de loi allemand ressemble à celle du texte dévoilé par la France mi-décembre. Le Parlement français doit examiner le texte à partir du 12 février. et

Les positions de Paris et Berlin sur la réforme bancaire, même si elles doivent encore être avalisées par les parlements allemand et français, sont plus souples que celles de la commission présidée par Erkki Liikanen, le gouverneur de la Banque de Finlande chargé en janvier 2012 de formuler des propositions pour mieux encadrer le secteur bancaire européen.

Ses recommandations, plus strictes en matière de séparation des activités des établissements de crédit - et en ce sens proches du Glass Steagall Act américain de 1933 - servent en principe de cadre de réflexion en vue de l'élaboration d'une directive européenne.

La France et l'Allemagne ont néanmoins décidé de prendre les devants, manifestement sensibilisées par la nécessité de protéger le modèle de "banque universelle" incarné par BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et Deutsche Bank.

LA CROISSANCE D'ABORD

"La réforme française aurait très bien pu attendre les conclusions de la Commission européenne sur la base des recommandations du rapport 'Liikanen'", souligne Christophe Nijdam, analyste du secteur bancaire chez Alphavalue.

"Décision a été prise de ne pas attendre parce que le lobby bancaire français a probablement insisté pour éviter d'avoir à mettre en place les recommandations du rapport", ajoute-t-il.

Plusieurs experts, parmi lesquels l'organisation Finance Watch, signalent que le texte n'est pas suffisamment exigeant en matière de séparation et que la taille du bilan des banques continue de présenter des risques importants pour la stabilité du système financier.

Dans une interview accordée au Financial Times mercredi, le commissaire européen chargé des services financiers, Michel Barnier, fait pour sa part valoir que "la construction d'une muraille autour des activités de trading et leur logement dans des entités séparées risquerait de miner les fragiles perspectives de croissance en Europe."

"Je ne veux pas pénaliser les banques quand elles travaillent pour le bénéfice de l'économie et de l'industrie", dit-il.

La BCE, qui "voit un intérêt" à séparer certaines activités de trading très risquées des banques de leurs activités principales, ne va pas non plus jusqu'à apporter son soutien à une scission entre les activités de dépôt et la banque d'investissement.

PRÉSERVER LA COMPÉTITIVITÉ

De fait, aucun pays n'a opté pour une séparation nette des activités bancaires.

Le Royaume-Uni travaille à un projet qui sanctuariserait la banque de dépôt (règle Vickers). Mais le pays n'envisage son application qu'en 2019. Aux Etats-Unis, la "Volcker Rule", qui prévoit l'interdiction de certaines pratiques risquées, attend toujours ses décrets d'application.

Les dirigeants des banques françaises ont tenté mercredi matin de convaincre les députés des menaces que fait planer à leurs yeux le projet de réforme du gouvernement.

"Nous pensons que compte tenu du nombre de réformes qui sont arrivées ces dernières années, cette évolution n'était ni une urgence, ni une priorité", a déclaré Jean-Paul Chifflet, directeur général de Crédit agricole S.A. et président de la Fédération bancaire française.

Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale, a de son côté estimé que la législation, telle qu'envisagée actuellement par le gouvernement, risquait d'avoir une influence néfaste sur le positionnement des banques françaises par rapport à leurs concurrentes internationales.

"Il faut bien comprendre que dans un monde ouvert nos clients sélectionnent leurs prestataires, il faut préserver la compétitivité des banques françaises", a-t-il dit, préoccupé de voir la France légiférer avant d'autres pays de la zone euro. (Edité par Jean-Michel Bélot)

Valeurs citées dans l'article : SOCIETE GENERALE, BNP PARIBAS, CREDIT AGRICOLE, Deutsche Bank AG