par Ben Blanchard et Sui-Lee Wee

PEKIN, 10 mars (Reuters) - Il y a six mois encore, les médias chnois vantaient en la Corée du Nord un pays de choix pour investir, et Pékin et Pyongyang s'employaient à développer une zone économique transfrontalière.

Un essai nucléaire, un tir de fusée à longue portée et quelques déclarations bellicistes du régime nord-coréen plus tard, la Chine est devenue un acteur clé des nouvelles sanctions adoptées par les Nations unies à l'encontre de Pyongyang, ce qui, de l'aveu d'experts chinois, est une évolution de taille de la part de Pékin vis-à-vis de son allié communiste coréen.

Dans le même temps, la presse chinoise ne se prive pas de décrire la Corée du Nord comme un allié handicapant et dénué de fiabilité. Les hommes d'affaires et les responsables chargés de développer les relations commerciales avec la Corée du Nord ne veulent même pas parler de ce pays.

Nul ne s'avance à dire que la Chine abandonnera le régime de Kim Jong-un et même appliquera à la lettre les sanctions adoptées, mais les relations naguères fraternelles sont de plus en plus sur la sellette à mesure que le mécontentement des Chinois grandit.

La Chine a soutenu l'adoption de divers trains de sanctions à l'Onu ces dernières années tout en estimant officiellement qu'elle ne pense pas qu'elles résoudront la crise liée au programme nucléaire de Pyongyang.

Mais après le troisième essai nucléaire mené par la Corée du Nord le 12 février, la Chine a négocié les dernières sanctions en date avec Washington et dit vouloir les appliquer pleinement.

La Chine, exaspérée par son imprévisible allié, semble perdre patience après avoir pendant des années cherché à convaincre Pyongyang de sortir de son isolement et d'engager des réformes économiques.

A cette exaspération s'ajoute le fait que le nouveau numéro un nord-coréen, Kim Jong-un, n'a pas fait allégeance à la Chine, seul grand allié de Pyongyang, comme l'avaient fait son père Kim Jong-il et son grand-père Kim Il-sung. Il ne s'est pas rendu en visite en Chine depuis qu'il a pris les rênes du pays, à la mort de son père fin 2011.

Même le minimum d'affection dont témoignaient les Chinois envers les Nord-Coréens, compagnons d'armes durant la guerre de Corée (1950-53), a tout bonnement disparu. Au contraire, la Corée du Nord et son dirigeant sont devenus un objet de dérision et d'incompréhension à mesure que la Chine s'est imposée comme une grande puissance économique et a acquis une plus grande stature internationale.

LE CAUCHEMAR DE PÉKIN

Le Global Times, influent tabloïd publié par l'organe central du PC chinois, le Quotidien du peuple, a appelé à une rupture totale entre la Chine populaire et la Corée du Nord. Vendredi, il conseillait à Pyongyang de ne pas sous-estimer la colère de la Chine.

"L'amitié entre la Chine et la Corée du Nord ne peut de toute évidence pas fluctuer en fonction des états d'humeur de Pyongyang", lisait-on dans un éditorial de ce journal.

Le nouveau numéro un du PC chinois, Xi Jinping, n'entretient pas d'autre part de relations aussi fraternelles que ses prédécesseurs avec les Nord-Coréens.

Confronté au casse-tête nord-coréen, Xi a bien conscience que l'opinion publique chinoise n'a guère de sympathie pour le régime de Pyongyang.

"Le comportement de la Corée du Nord indigne l'homme de la rue en Chine, et cela exerce une pression sur le gouvernement. Et Xi Jinping, rappelons-le, a évoqué la façon dont le gouvernement doit prêter attention à l'opinion publique", déclare Cai Jian, coréanologue à l'université Fudan de Shanghai.

"Les nouveaux dirigeonts seront plus concrets et coopèreront davantage avec la communauté internationale en ce qui concerne la Corée du Nord", ajoute-t-il.

Ce qui est certain, c'est que la Chine ne rompra pas complètement avec Pyongyang. La Corée du Nord demeure une zone tampon utile à Pékin, qui ne veut pas de troupes américaines à ses frontières. La Chine ne veut pas voir la Corée du Nord suivre la même voie que la Birmanie, naguère grande alliée de Pékin, qui développe rapidement ses liens avec Washington aujourd'hui, à mesure qu'elle s'ouvre à la démocratie.

Et en outre, si Pékin serre trop la vis à la Corée du Nord, le régime risque de s'effondrer, ce qui est le cauchemar de la Chine. Non seulement cela engendrerait un afflux de réfugiés dans le nord-est de la Chine, mais nul ne pourrait dire ce qui adviendrait des substances nucléaires stockées par les Nord-Coréens.

"La Chine ne veut pas que les sanctions affectent la stabilité de la Corée du Nord ou provoquent des troubles, ou encore qu'elles déstabilisent l'équipe dirigeante à Pyongyang", estime Cai Jian. (Eric Faye pour le service français)