* Une réforme nuisible au financement des entreprises, dit Noyer

* Il estime que les lois allemande et française sont l'optimum possible

* La FBF contre la filialisation de la tenue de marché

* Barnier estime que Noyer n'a pas bien lu son projet de règlement (Avec réponse de Michel Barnier, contexte)

PARIS, 29 janvier (Reuters) - Les propositions de la Commission européenne pour réformer le système bancaire ont donné lieu mercredi à un vif échange à distance entre Michel Barnier et le gouverneur de la Banque de France, qui les juge "irresponsables".

Lors de rencontres parlementaires sur l'épargne, Christian Noyer, membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), est sorti de sa réserve habituelle.

Les idées "mises sur la table par le commissaire Barnier sont des idées, je pèse mes mots, qui sont irresponsables et contraires aux intérêts de l'économie européenne", a-t-il dit.

"J'espère que ce projet restera enterré et qu'il n'aura aucune suite", a-t-il ajouté, les gouvernements et le Parlement de l'UE devant maintenant s'en saisir.

Il s'exprimait après la présentation par la Commission européenne d'un projet de règlement visant à limiter les risques pris et posés par les plus grandes banques.

Michel Barnier, interrogé par Reuters, a rejeté ces critiques : "Je ne peux pas croire que Christian Noyer, qui est un homme compétent, ait pu faire ces déclarations en ayant pris connaissance du détail de nos propositions."

"Ce que nous faisons précisément c'est de donner aux superviseurs le pouvoir d'imposer la filialisation de banques trop grosses pour faire faillite, trop complexes pour être résolues sans crise systémique et trop chères à sauver avec des fonds publics, lorsque ces banques prennent des risques excessifs", a expliqué le commissaire au marché intérieur.

La Commission n'a pas vraiment remis en cause le principe de banque universelle alliant activités de dépôts et de marchés, au grand dam des tenants de règles plus strictes. ( )

Mais le projet présenté par Michel Barnier va au-delà de la réforme adoptée en France en 2013 en prévoyant l'interdiction pure et simple du trading pour compte propre des banques et la filialisation d'activités comme la tenue de marché.

DANS LE SILLAGE DES ETATS-UNIS

Le trading pour compte propre ("proprietary trading"), une activité spéculative qui a notamment été en France au coeur de l'affaire Kerviel, consiste pour les banques à prendre à leur profit des positions sur les marchés financiers.

Une législation américaine, dite règle Volcker, adoptée en juillet interdit cette activité, à quelques exceptions près.

Pour le gouverneur de la banque de France, qui a fait écho aux mises en garde adressées à Bruxelles par Paris et Berlin, les réformes votées en France et en Allemagne "sont à peu près l'optimum de ce que l'on peut faire" en la matière et ont "fondamentalement la même philosophie" que la "règle Volcker".

"Ce sont des textes équilibrés qui aboutissent à maintenir durablement une forte réduction des risques en rendant complètement marginal pour des cas très particuliers ce qu'on appelle le 'proprietary trading' dans une filiale complètement isolée et, surtout, qui gardent dans le bilan des banques les activités nécessaires au financement de l'économie", a-t-il dit.

Christian Noyer a évoqué la montée en puissance des obligations d'entreprises, dans un contexte de renforcement des normes prudentielles des banques.

Il a jugé "indispensable" dans ce contexte que les banques universelles continuent "d'amener les entreprises sur le marché, de vendre les obligations à des investisseurs institutionnels, qu'elles puissent elles-mêmes assurer la liquidité de ces titres (...) que la tenue de marché reste dans ces activités".

La Fédération bancaire française (FBF), qui défend les intérêts des banques françaises, a critiqué pour les mêmes raisons le projet de Bruxelles : "La filialisation de la tenue de marché conduirait à un renchérissement considérable de cette activité", a-t-elle dit dans un communiqué.

"POINT D'ÉQUILIBRE"

Pour la FBF, ce projet donnerait un avantage compétitif injustifié aux banques américaines installées à Londres, qui seraient alors seules "en mesure d'assurer le financement des entreprises sur les marchés".

Lors de la présentation du projet de règlement, à Bruxelles, Michel Barnier a dit s'attendre à des critiques.

Il a rappelé que si des banquiers jugeaient trop rigoureuses les règles proposées, des députés européens pensaient au contraire qu'elles étaient insuffisantes, tandis que les Britanniques "voudraient des exemptions générales".

"Je me dis que nous avons trouvé le point d'équilibre", a-t-il poursuivi. "Les ministres prendront leurs responsabilités, ils viendront me dire pourquoi ils veulent, pour certains, préserver le proprietary trading."

"Au nom de quoi on autorise les banques à faire de la spéculation pure et simple avec l'argent des déposants (...) sans aucun bénéfice, sans aucun retour pour ces déposants ?" a-t-il ajouté. "Il y a peut-être un problème de morale."

Le commissaire européen s'est dit prêt à la discussion pour améliorer, préciser, éventuellement renforcer le texte.

La "chute ou la faillite désordonnée" d'une des grandes banques "systémiques" visées par le projet de règlement serait "suffisante pour plonger l'Europe dans une grave crise", a-t-il averti dans sa déclaration à Reuters.

Il a fait valoir que Christian Noyer et ses collègues des autres banques centrales des pays de l'Union auraient en tout état de cause à décider, en tant que superviseurs, "des mesures qu'il est 'responsable' ou 'irresponsable' de prendre". (Yann Le Guernigou, avec Matthieu Protard et Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)

Valeurs citées dans l'article : SOCIETE GENERALE, BNP PARIBAS, NATIXIS, CREDIT AGRICOLE