PARIS (Reuters) - Allié versatile et exigeant d'Emmanuel Macron, le centriste François Bayrou se voit confier les rênes de Matignon à la suite de Michel Barnier pour tenter d'extirper la France de l'impasse politique et économique.
Le Béarnais à la persévérance ombrageuse, trois fois candidat à l'élection présidentielle, s'était imaginé un destin élyséen, il devient Premier ministre à 73 ans dans une configuration inédite.
Le président du Mouvement démocrate (MoDem), admirateur de Henri IV le rassembleur, devra user de toute son expérience politique et de ses talents de conciliateur pour composer avec une Assemblée nationale fragmentée où le Nouveau front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN) sont en embuscade, prêts à une nouvelle censure.
Après trois tentatives infructueuses en 2002, 2007 et 2012, le maire de Pau s'était résolu pour la présidentielle de 2017 à nouer une alliance avec Emmanuel Macron, "un geste d'abnégation" face à la "flambée de l'extrême droite qui fait planer la menace d'un danger immédiat pour notre pays et pour l'Europe".
Sceptique et méfiant de prime abord face au candidat des "forces de l'argent", François Bayrou avait finalement offert un appui déterminant à l'ancien ministre de l'Economie de François Hollande qui sera élu le 7 mai 2017.
Les deux hommes s'étaient notamment entendus sur une grande loi de moralisation de la vie politique, le Palois disant son "espoir" d'un aggiornamento.
Nommé le 17 mai ministre de la Justice, François Bayrou avait quitté le gouvernement dès le 21 juin en raison de l'ouverture d'une enquête préliminaire sur le dossier des emplois fictifs présumés des assistants parlementaires du MoDem au Parlement européen. Il a été relaxé le 5 février dernier par le tribunal correctionnel de Paris mais le parquet a interjeté appel de cette décision.
Relégué dans les coulisses d'un quinquennat qu'il voulait aussi faire sien, François Bayrou ne perdra pas son influence auprès d'Emmanuel Macron, devenant de facto un conseiller écouté du chef de l'Etat mais aussi un observateur critique de sa gouvernance et de ses réformes.
LE "CABOURUT"
En septembre 2020, il est nommé Haut-commissaire au Plan puis réitère son soutien au président sortant pour la présidentielle de 2022, tout en s'assurant de postes ministériels pour ses alliés du MoDem.
En septembre 2022, Emmanuel Macron le choisit comme secrétaire général du Conseil national de la refondation (CNR). François Bayrou met alors en garde le président contre un "passage en force" pour la réforme des retraites.
En février 2024, le "cabourut" ("tête dure" en béarnais) retarde le remaniement gouvernemental après la démission d'Elisabeth Borne en refusant un portefeuille ministériel au sein de l'équipe de Gabriel Attal.
François Bayrou explique avoir écarté le ministère des Armées, marquant sa préférence pour l'Education nationale (il en fut ministre de 1993 à 1997) ou un portefeuille assimilable à l'aménagement du territoire.
Il s'émeut du "gouffre qui s'est creusé entre la province et Paris" et évoque l'élection présidentielle de 2027, dont l'enjeu est selon lui "qu'on arrive à réconcilier la France qui se bat en bas avec la France qui décide en haut".
La "vigie" devient donc l'artisan de la recomposition toujours en cours depuis la dissolution de l'Assemblée nationale, qu'il fut l'un des rares à défendre, jugeant qu'elle avait "permis de crever l'abcès".
"Quand s'expriment des sentiments, des attentes, c'est mieux que quand ça bouillonne dans les profondeurs", disait-il en juillet.
Ses relations courtoises avec Marine Le Pen pourraient aider à la pacification attendue. Mais le soutien apporté au socialiste François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012 au second tour de la présidentielle a laissé des traces à droite.
Partisan comme la cheffe de file des députés RN de la proportionnelle pour les élections législatives, François Bayrou avait donné en 2022 son parrainage à Marine Le Pen pour l'élection présidentielle afin de "sauver la démocratie".
Le 24 novembre dernier, François Bayrou avait estimé que les réquisitions sévères à l'encontre de celle-ci dans l'affaire des assistants parlementaires du Front national (FN) contribuaient à "biaiser la démocratie".
"Je n'aime pas l'injustice, même quand elle est faite à mes adversaires", avait-il souligné à l'évocation de la peine d'inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire visant Marine Le Pen.
(Rédigé par Sophie Louet, édité par Blandine Hénault)