Le dégel des cryptomonnaies au Nigeria, c’est peut-être moins sexy qu’il n’y paraît.
L’hostilité historique du gouvernement nigérian semble s’adoucir, surtout avec l’octroi de licences à deux plateformes de cryptomonnaies, Busha et Quidax. Il est aussi important de noter que les deux licences ont été délivrées dans le cadre du “Programme d'incubation réglementaire accéléré” de la SEC. Ce programme permet une activité limitée, sous la surveillance étroite du régulateur, avec la possibilité de fermer ces entreprises à tout moment. À ce jour, aucune des sociétés n’a encore obtenu un enregistrement complet.
Jusqu'à récemment, le Nigeria interdisait totalement le trading de cryptos sur ses plateformes, et même si le gouvernement parle aujourd’hui de taxe sur les cryptos, cela pourrait être un double jeu. Comme en Inde, la politique fiscale pourrait avoir pour objectif de freiner l’activité de cette industrie.
La Securities and Exchange Commission (SEC) du pays, a effectivement accordé ces premières licences et mis en place un programme de pré-enregistrement pour cinq startups crypto (Trovotech, Wrapped CBDC, HXAfrica, Dream City Capital et Blockvault Custodian). Un changement de ton qui contraste avec les précédentes actions du gouvernement qui étaient conçues pour freiner l’essor de l’écosystème crypto dans le pays. En 2021, les banques nigérianes n’avaient même pas le droit de fournir des services aux entreprises de cryptos.
En février, l’accès à plusieurs bourses locales a été bloqué temporairement, et deux dirigeants de Binance ont été arrêtés, l’un d’eux étant toujours en prison. De plus, plus de 1 100 comptes bancaires liés à des traders crypto ont été gelés. Pour ne rien arranger, le trading de crypto a même été déclaré “problème de sécurité nationale” par le conseiller à la sécurité du Nigeria.
Un nouveau visage Web3 se dessine
Mais malgré tout, le gouvernement nigérian semble commencer à fléchir. En mai, Emomotimi Agama, un passionné de crypto et fintech, a été nommé directeur général de la SEC, marquant un petit pas en avant pour l’industrie. Alors, pourquoi ce changement ? Plusieurs facteurs pourraient l’expliquer.
D’abord, le soutien populaire pour les cryptos au Nigeria est massif. En 2023, le pays était deuxième au classement mondial d’adoption des cryptos, juste derrière l'Inde.
La raison de ce changement pourrait être aussi que la suppression de quelques restrictions sur les cryptomonnaies pourrait simplement détourner une partie de la colère observée lors des manifestations nationales du mois dernier. Avec une inflation qui grimpe à 35 % et une crise économique profonde, une partie des citoyens se sont révoltés (#EndBadGovernance) et trouvent refuge, entre autres, dans les cryptos pour protéger leur épargne. Pour preuve, le bitcoin a évolué de 260% face au naira - la monnaie du pays - depuis le début de l’année. Signe qu'un bon nombre de ceux qui détiennent de la monnaie locale veulent la convertir en BTC pour la protéger contre une dévaluation galopante du naira. D’ailleurs, autre facteur en faveur de l’ouverture aux cryptos, le pays cherche désespérément à attirer des investisseurs pour pallier la fuite des capitaux, aggravée par une dévaluation monétaire de plus de 45 % face au dollar cette année.
Dans ce contexte, toute hausse de l'afflux ou de la rétention de capitaux serait plus que bienvenue. Avec près de 60% du volume total des échanges de cryptomonnaies en Afrique, le Nigéria est un poids lourd du continent. La taille de son marché potentiel a de quoi séduire non seulement les investisseurs dans les cryptos elles-mêmes, mais aussi ceux intéressés par les entreprises qui développent des services liés à cet écosystème.
Mais ce dégel est probablement aussi une tentative de contrôle plus strict. Les plateformes agréées devront certainement être plus coopératives avec l’État, contrairement à Binance. Des dirigeants de la plus grande plateforme de crypto du monde ont été arrêtés pour avoir refuser de transmettre des données de leurs clients. En mai, la SEC a même proposé des règles interdisant le trading pair-à-pair (P2P) de crypto. Il y a donc une volonté d’encadrer et de surveiller de près cette industrie florissante - des valeurs fondamentalement opposées aux préceptes originels des cryptomonnaies. Me direz vous, les nigérians ne convertissent très certainement pas leurs nairas en bitcoins pour les idées qu’il véhicule.
Pour l’instant, ce « dégel » des cryptomonnaies reste assez limité. Les deux licences accordées l’ont été dans le cadre d’un programme d’incubation strict, et les banques restent réticentes à s’engager avec ces entreprises, notamment par crainte de surveillance supplémentaire de la part du gouvernement. Si les institutions ne font relativement pas confiance à ce cadre réglementaire, pourquoi les petits traders et épargnants devraient-ils le faire ? Le marché P2P, malgré son interdiction, pourrait bien rester, du moins à court terme, la solution privilégiée par beaucoup.