Depuis mi-avril, les marchés actions ont fortement rebondi, grâce à la détente dans la guerre commerciale et à des résultats d’entreprise plutôt solides. Une remontée qui s’est faite en parallèle d’une remontée des taux longs. Le 10 ans américain a ainsi dépassé à nouveau les 4.5% en début de semaine, avant une détente vers les 4.40% grâce aux dernières statistiques  économiques.

Actions et obligations : le groupe vit bien

Nous sommes donc depuis environ un mois dans une situation où la remontée des taux n’entrave pas la hausse des actions. Or, des taux plus élevés sont en principe un frein à la hausse des actions, puisque la valorisation des actions repose sur l’actualisation des bénéfices futurs. Donc, plus les taux sont élevés, moins la valeur actuelle des bénéfices futurs est importante, ce qui tend normalement à peser sur les cours des actions.

Tout dépend toujours du narratif qui accompagne la remontée des taux. Les taux et les actions progressent de concert si les anticipations de croissance remontent. En revanche, lorsque la remontée des taux est davantage tirée par une hausse des anticipations d’inflation, c’est généralement négatif pour les actions. C’est le schéma que l’on avait observé en 2022, au pic de la vague d’inflation. Cette corrélation positive entre actions et obligations - compte tenu de la relation inverse entre le prix d’une obligation et le taux d’intérêt, une hausse de taux se traduit par une baisse du prix de l’obligation - est le pire des scénarios pour les investisseurs parce que, dans ce cas, la diversification n’est pas payante.

Un autre élément important pour les actions, c’est la vitesse de la remontée des taux. Lorsqu’il y a un choc qui entraine une forte remontée des taux d’intérêt, c’est à ce moment-là que les marchés actions souffrent le plus. Un des exemples les plus récents est la crise sur les obligations britanniques en 2022, au moment de la présentation par Liz Truss d’un mini-budget qui prévoyait d’importantes baisses d’impôts. Les taux longs étaient ainsi fortement remontés, obligeant la Banque d’Angleterre à intervenir.

Toujours plus de déficit

Un précédent que tous les investisseurs ont en tête au moment où des débats budgétaires se tiennent au Congrès américain. Car les taux longs évoluent aussi en fonction des projections  de déficits, et donc de la capacité à long terme d’un Etat à honorer ses engagements.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que les Etats-Unis ont un "petit sujet" de finances publiques. Le point de départ c’est un déficit supérieur à 6% en 2023 et en 2024. Et le Congrès travaille actuellement sur un plan de baisses d’impôts, qui était l’une des promesses phares du candidat Trump. Un plan que ce dernier surnomme le "big, beautiful bill".

Ce plan vise essentiellement à prolonger les baisses d’impôts votés en 2017 et dont une bonne partie expire en 2025. A cela s’ajoute des mesures additionnelles : une réduction partielle d’impôt pour environ 4 millions de travailleurs touchant des pourboires, des déductions accrues pour les personnes âgées, ainsi que des allègements pour les heures supplémentaires.

Selon les estimations du CBO, la version présentée en début de semaine à la Chambre des Représentants alourdirait le déficit de 4900 milliards de dollars sur 10 ans. C’est une estimation provisoire car les débats sont en cours à la Chambre et ce sera ensuite au tour du Sénat de s’emparer du texte.

L’un des points actuellement les plus débattus est la déduction SALT – le montant d’impôts locaux qui peut être déduit du paiement des impôts fédéraux. Certains Républicains souhaiteraient relever ce plafond tandis que d’autres réclament des coupes plus importantes dans Medicaid - le programme d'assurance maladie destiné aux Américains à faibles revenus - en contrepartie.

Bond vigilantes  

Si certains points restent encore à débattre, le scénario central reste une adoption d’ici à l’été et un plan qui augmente considérablement le déficit, sans pour autant augmenter les perspectives de croissance car la plupart des mesures ne sont qu’une extension de politiques existantes. Il n’y a donc que très peu d’impulsion budgétaire supplémentaire, contrairement à ce que déclarait mardi le speaker de la Chambre des Représentants, Mike Johnson : "Nous pensons que cela va être du carburant pour l’économie."

En effet, le discours traditionnel des Républicains consiste à dire que les baisses d’impôts permettent d’augmenter la base fiscale et in fine de collecter davantage de revenus. Mais comme le rappelait le Committee for a Responsible Federal Budget en mars : "Tax cuts generally do not pay for themselves". (Les réductions d’impôts ne sont généralement pas rentables).

Les investisseurs se retrouvent donc face à un plan de baisse d’impôts qui augmente le déficit sans augmenter la croissance. Tout cela au moment où la politique de Donald Trump pousse à s’interroger sur le statut de valeur refuge des Treasuries, et où de nombreuses banques centrales cherchent à diversifier leurs réserves et donc à réduire leurs avoirs en dollars.

La pression à la hausse sur les taux a donc toutes les chances de se poursuivre. Le 30 ans a d’ailleurs touché à nouveau les 5% cette semaine. Il y a néanmoins une bonne nouvelle. La séquence des droits de douane a montré que le marché obligataire est suivi de près par Donald Trump, et peut faire infléchir ses positions. Les bond vigilantes ont donc encore du travail devant eux.