par Paul Eckert

De nombreux parlementaires américains de tous bords exhortent actuellement le gouvernement de Barack Obama à qualifier formellement la Chine de "manipulatrice monétaire" dans le rapport du Trésor qui doit paraître mi-avril.

Ils menacent en outre d'imposer des droits compensateurs sur les biens chinois pour contrebalancer l'avantage compétitif supposé dont ceux-ci disposeraient grâce à un yuan sous-évalué.

Cependant, les milieux d'affaires et les économistes estiment en général que la stratégie consistant à vouloir jouer les gros bras avec Pékin mènera dans le meilleur des cas à un échec de cette politique, et dans le pire des scénarios, à une guerre commerciale entre les deux pays.

Selon certains conseillers économiques de Barack Obama, il serait donc préférable pour les responsables américains de s'exprimer le moins possible sur le sujet, afin que le gouvernement chinois ne pas donne pas l'impression de céder aux exigences étrangères s'il se décidait finalement à agir.

Au contraire, Washington devrait, selon les économistes interrogés par Reuters, envisager les problèmes monétaires et les autres causes supposées du déficit commercial dans le cadre d'une approche multilatérale.

En ce qui concerne les relations bilatérales avec les Chinois, les Etats-Unis devraient plutôt se concentrer sur les barrières commerciales qui empêchent les exportations et qui pourraient violer les accords de l'OMC.

"La monnaie (chinoise) est sous-évaluée, point. C'est une distorsion structurelle car la deuxième économie mondiale ne devrait pas être monétairement accrochée à la première", explique Derek Scissors de l'Heritage Foundation à Washington.

Les analystes estiment que le niveau auquel le yuan est lié au dollar est inférieur de 15% à 40% à ce qu'il pourrait être si le marché fixait librement les parités.

MONNAIE, COMMERCE ET EMPLOIS

Le Bureau du Représentant américain au Commerce a publié mercredi un rapport annuel qui cite toute une série de réglementations, de subventions et de pratiques qui favorisent les entreprises d'Etat et contreviennent aux obligations de la Chine vis-à-vis de l'OMC.

Début mars, l'Economic Policy Institute (EPI), classé à gauche, a réalisé une étude qui dit que la manipulation du taux de change et les autres politiques commerciales de la Chine auraient causé la destruction de 2,4 millions d'emplois aux Etats-Unis entre 2001 et 2008.

Avec des chiffres officiels révélant que l'économie américaine a perdu 8,4 millions d'emplois depuis décembre 2007, de nombreux parlementaires ont fait leur les thèses de l'EPI sur le lien entre emplois et taux de change.

La chambre de commerce sino-américaine a rétorqué que l'analyse de l'EPI avait "plusieurs décennies de retard", arguant du fait que la Chine est simplement le fournisseur actuel de biens précédemment exportés vers les Etats-Unis par d'autres pays asiatiques.

Selon John Frisbie, le président de la chambre de commerce sino-américaine, les responsables américains qui imputent la montée du chômage à la politique commerciale chinoise omettent de prendre en compte tous les emplois dépendant des importations, et se fondent sur "l'hypothèse erronée que chaque produit importé de Chine aurait sinon été fabriqué aux Etats-Unis".

Daniel Ikenson, économiste à l'Institut Cato, explique que lorsque la Chine a relâché la bride sur la parité yuan-dollar entre 2005 et 2008, la monnaie chinoise s'est appréciée de 21%, et les importations américaines ont bondi de 38,7%.

"MULTILATÉRALISER"?

L'économiste en chef de l'EPI et auteur du rapport sur les conséquences sur le marché du travail de la parité yuan-dollar, Robert Scott, balaye les critiques qui qualifient de futile son appel à une forte hausse du renminbi, l'autre nom de la monnaie chinoise.

"Si vous rendez les produits chinois 40% plus chers et les produits américains 40% moins chers, cela a forcément un impact sur les échanges de biens entre les deux pays et au final, cela a forcément un impact sur l'emploi", explique-t-il.

Mais Derek Scissors oppose à ce raisonnement la possibilité que l'appréciation du renminbi ne fasse que "transférer les emplois vers d'autres pays à faible coût de main-d'oeuvre qui ne pouvaient pas jusqu'à présent réellement rattraper la Chine : le Viêtnam, l'Indonésie, le Mexique, l'Inde."

Les experts se demandent comment l'administration Obama va utiliser le rapport Trésor.

Le gouvernement de Barack Obama qui, comme l'administration s'est pour l'instant refusé à qualifier la Chine de "manipulatrice", organise un sommet sur le désarmement le 12 et le 13 avril et espère y voir le président chinois Hu Jintao.

Des hauts responsables américains sont attendus fin mai en Chine pour une réunion annuelle afin de discuter des sujets stratégiques et économiques.

Le fait de qualifier formellement un pays de "manipulateur monétaire" requiert simplement que Washington entame des discussions avec la Chine et le Fonds monétaire international (FMI).

Certains observateurs pensent qu'une telle décision serait en réalité une bonne chose, parce qu'elle aurait pour effet de "multilatéraliser" une querelle bilatérale et qu'elle rendrait difficile l'adoption par le Congrès américain de mesures protectionnistes de grande ampleur.

Paul Eckert, Vincent Chauvet pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten