Tribune de Stéphane Faure, président d'Astyrian Patrimoine
La dégradation de la compétitivité de l'Europe a plusieurs causes internes bien identifiées :
- Une inflation de normes et réglementations auxquelles sont soumises les entreprises Européennes, pas leurs concurrents internationaux.
- Des coûts de l'énergie trop élevés.
- Un système de retraite par répartition qui déséquilibre les budgets nationaux et qui arrive au bout du chemin : Avec le vieillissement de sa population et 1,5 actifs par retraité en France (versus 4 en 1970), le modèle de retraite par répartition (majoritaire en Europe) qui était pertinent après la seconde guerre mondiale, ne l’est plus aujourd’hui. D’autant plus avec des citoyens qui ne sont manifestement pas prêts à travailler toujours plus tard pour compenser une pyramide des âges aujourd’hui déséquilibrée. Un basculement, au moins partiel, vers un modèle par capitalisation aurait l’avantage de permettre de rééquilibrer les comptes budgétaires (en réduisant le poids et les charges liées à la retraite par répartition) tout en développant les capacités d’investissements (à travers la mise en place de fonds de pension).
- Des marchés de capitaux fragmentés limitant les capacités de financement de l’innovation de l’Europe alors que cette dernière dispose de ressources d’épargne abondantes. Malheureusement, à défaut d'une fiscalité harmonisée, à minima sur le capital, difficile d’imaginer le développement de solutions à l'échelle Européenne pour orienter l’épargne vers les actions (et les projets d’investissements) plutôt que vers les obligations d’Etats.
- Enfin, des processus décisionnels Européens trop lents et des décisions souvent trop timorées (ex : pas de véritable réponse à l’IRA, pas d’harmonisation de la taxation des entreprises – cf. ACCIS, difficulté à définir une politique migratoire, etc.), conséquences de droits de vetos empêchant toute prise de décision puissante, efficace et rapide comme celles susceptibles d’être prises par les Etats-Unis.
Cependant, vis-à-vis de la Chine, une autre explication s’impose : la dévaluation compétitive du Yuan chinois, rendant toute concurrence impossible.
Les indicateurs de cette stratégie de dévaluation compétitive paraissent pourtant évidents :
- Balance commerciale Chinoise excédentaire qui ne cesse de croitre année après année.
- Progression fulgurante du PIB par habitant Chinois en parité de pouvoir d'achat (l'indicateur le plus représentatif de la création de richesse d'un pays, par ailleurs très fortement corrélé aux gains de productivité) avec une progression de +450% depuis 2000, contre seulement +33% pour les Etats-Unis, +21,6% en zone Euro et +16% en France.
- En parallèle, malgré un niveau d’inflation comparable (voire légèrement moindre pour la Chine), le Yuan est resté quasi stable sur la période par rapport au Dollar alors que le Yuan aurait normalement dû se valoriser pour représenter la véritable puissance économique de la Chine1.
Cette sous-évaluation délibérée de la monnaie chinoise, dont l’origine tient probablement pour une grande partie à ses surcapacités, permet à Pékin de proposer à l'export des produits à des prix défiant toute concurrence. Alors que la Chine a considérablement développé ses capacités de production, sa puissance économique et son niveau de productivité, sa monnaie est artificiellement maintenue dans une quasi-parité avec le dollar. L'OMC étant incapable de réagir face à cette dévaluation compétitive, normalement interdite, c'est à l'Europe de s'attaquer au problème, soit en agissant au niveau de sa devise, soit comme les Etats-Unis, en imposant des barrières commerciales en représailles (quotas, droits de douanes, etc.).
Plusieurs pays Européens s’inquiètent des potentielles répliques de la Chine. Il s’agit malheureusement d’une vision court-termiste. Pour les entreprises Européennes, sauf à produire localement, il parait illusoire de penser pouvoir maintenir durablement des parts de marché importantes en Chine. Quels que soit les secteurs (tout au moins ceux les plus concurrentiels), la Chine s'organise pour dominer son marché intérieur à moyen et long terme. Elle s'organise également pour conquérir l'ensemble des marchés de la planète qui lui sont encore accessibles en développant ses surcapacités et en dévaluant sa monnaie. L'Europe doit prendre la pleine mesure de cette nouvelle donne et en tirer les conséquences. Elle doit en finir avec sa naïveté vis-à-vis de la Chine comme des États-Unis. L'ère de la "mondialisation heureuse" et des accords de libre-échange est révolue.
Il est sans doute temps pour l'Europe de définir une nouvelle stratégie économique, fondée sur une plus forte intégration Européenne, sur plus de protectionnisme et sur l’application du principe de réciprocité hors des frontières Européennes. Dans ce nouveau monde en voie de régionalisation, l'Europe dispose d'atouts si elle joue collectif, si elle s’inspire du rapport Draghi et si dans une logique de réciprocité elle s’inspire des actions menées par les Etats-Unis (IRA, droits de douanes, etc.).
Dans cette cible, pour les multinationales Européennes, l'accès aux marchés extérieurs (US, Chine notamment) resterait possible mais en produisant localement. Le plus tôt l'Europe prendra conscience de cette évolution et protégera son marché intérieur, le mieux cela sera pour ses citoyens comme pour ses entreprises.
Stéphane FAURE, président d'Astyrian Patrimoine
1. En parité de pouvoir d'achat, le PIB de la Chine a dépassé les Etats-Unis depuis 2013