Une demi-douzaine de géants mondiaux du trading, de Citadel Securities et IMC Trading à Millennium et Optiver, intensifient leur implantation sur le marché indien des produits dérivés, en pleine expansion. Ce mouvement alimente une véritable frénésie de recrutement et pousse les bourses locales à moderniser leurs technologies.

Ces plans de recrutement, révélés pour la première fois, interviennent alors que l'on s'attend à ce que la vaste base de consommateurs et d'investisseurs indiens protège le pays des turbulences mondiales provoquées par les politiques commerciales du président américain Donald Trump.

Selon la Futures Industry Association, l'Inde représentait près de 60% des volumes mondiaux d'échanges de produits dérivés sur actions en avril, soit 7,3 milliards de contrats. Les régulateurs indiens indiquent par ailleurs que la valeur notionnelle des contrats a été multipliée par 48 depuis mars 2018.

Pour les sociétés occidentales, cette ruée vers l'or est impossible à ignorer, notamment après que la firme américaine Jane Street a engrangé 2,34 milliards de dollars grâce à sa stratégie de trading en Inde l'an dernier, selon plusieurs dirigeants interrogés.

« Nous observons une concurrence accrue à la fois sur le front du trading, où davantage d'acteurs se disputent les mêmes opportunités, et sur le marché de l'emploi », explique Jocelyn Dentand, d'IMC Trading, spécialiste mondial du trading à haute fréquence.

L'entreprise prévoit d'augmenter ses effectifs de plus de 50% d'ici la fin 2026, pour atteindre plus de 150 personnes, précise Dentand, directeur général de la filiale indienne.

Les investisseurs étrangers sont redevenus acheteurs d'actions indiennes en avril et mai, avec un solde net de 2,8 milliards de dollars, abandonnant ainsi leur position vendeuse adoptée entre octobre 2024 et mars 2025, motivée par des valorisations élevées et un ralentissement de la croissance des bénéfices.

Citadel Securities, société de market making fondée par le célèbre investisseur Kenneth Griffin, fonctionne avec une équipe resserrée d'environ dix personnes, incluant un directeur des opérations récemment recruté pour l'Inde ainsi qu'un responsable national du trading, selon une source proche du dossier. La firme poursuit activement sa recherche de talents.

Citadel Securities a refusé de commenter ces informations.

Le fonds spéculatif Millennium développe également son activité indienne via Dubaï et Singapour, indique une autre source bien informée, qui a souhaité conserver l'anonymat.

Millennium n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Le néerlandais Optiver, qui a lancé ses opérations en Inde en 2024, prévoit de porter ses effectifs à 100 personnes d'ici la fin 2025, contre 70 actuellement, selon un porte-parole.

« Optiver investit de manière ambitieuse en Inde, avec l'objectif d'atteindre 100 équivalents temps plein d'ici la fin de l'année et de poursuivre sa croissance dans les années à venir », ajoute le porte-parole.

La société de trading Da Vinci, basée à Amsterdam, et la britannique Qube Research and Technologies recrutent également des profils quantitatifs en Inde, selon des offres d'emploi publiées.

RUÉE SUR LA TECHNOLOGIE ET LES TALENTS

Les grandes sociétés de trading mondiales cherchent aussi à se renforcer en Inde en recrutant massivement dans les meilleures universités locales et en attirant des talents issus de concurrents nationaux.

Selon le cabinet de recrutement Aquis Search, basé à Hong Kong, ces entreprises ont embauché environ 300 personnes en Inde au cours des deux dernières années dans les domaines du trading, de la technologie, de la conformité, du risque et du juridique.

« Nous anticipons une belle dynamique pour les prochaines années », confie Annpurna Bist, responsable quantitatif et technologique chez Aquis Search.

La concurrence accrue a fait grimper les salaires, les traders débutants percevant aujourd'hui plus du double de ce qu'ils gagnaient il y a trois ans, selon Bhautik Ambani, directeur d'AlphaGrep Investment Management, l'un des principaux acteurs du trading quantitatif en Inde.

Les grandes écoles d'ingénieurs indiennes sont devenues des viviers privilégiés pour dénicher les meilleurs talents.

« Nous recrutons presque exclusivement nos traders et ingénieurs logiciels au sein des Indian Institutes of Technology (IIT), » explique Jocelyn Dentand d'IMC, en référence au prestigieux réseau d'écoles d'ingénieurs du pays.

Cependant, les efforts de recrutement s'étendent désormais à d'autres universités indiennes, ajoute Dentand.

L'arrivée massive de ces sociétés internationales ouvre également de nouvelles perspectives pour les deux principales bourses indiennes, toutes deux engagées dans une modernisation de leur infrastructure technologique.

La National Stock Exchange of India (NSE) prévoit d'ajouter 2 000 racks de colocalisation au cours des deux prochaines années, tandis que la Bombay Stock Exchange (BSE), doyenne du secteur, vise 500 racks d'ici la fin de l'exercice 2026, contre aucun en mars 2024.

Ces racks sont des serveurs installés dans les bourses, permettant de réduire les temps d'exécution des transactions à la microseconde.

« Nous arrivons tardivement sur ce créneau et devons offrir une valeur ajoutée pour répondre à la demande insatisfaite des sociétés de trading haute fréquence et des firmes quantitatives, notamment en matière de racks de colocalisation », explique Sundararaman Ramamurthy, directeur général de la BSE.

La BSE a investi entre 4,5 et 5 milliards de roupies (soit 52 à 58 millions de dollars) dans la technologie au cours des deux dernières années, précise-t-il.

La NSE et le régulateur indien, la Securities and Exchange Board of India (SEBI), n'ont pas répondu à nos sollicitations pour ce reportage.

(1 dollar = 85,9675 roupies)