C’est le secteur value par excellence : les banques européennes. Des valeurs historiquement délaissées par les investisseurs parce qu'elles personnifient un peu trop le concept de "value trap" depuis la crise financière de 2008. Pour définir ce concept, la valorisation du secteur est faible mais le reste. Et au moindre évènement non anticipé, allant d’une crise sanitaire à la dissolution d’un parlement, le secteur bancaire est toujours celui qui est vendu en premier.
Malgré cette piètre réputation, les banques européennes ont surperformé largement l’Eurostoxx 600 ces trois dernières années, avec un gain de 60% depuis le 1er janvier 2022 contre six fois moins pour l’ensemble du marché. Et c’est même mieux que la plupart des grandes banques américaines, exception faite de JPMorgan et Goldman Sachs qui font la différence « au finish » grâce à de très bons résultats publiés mi-janvier.
Changement de régime
Alors comment expliquer cette surperformance ? Le point de départ, c’est une très faible valorisation. Le secteur a donc d’abord profité d’un re-rating. Le Stoxx 600 Banks se traite désormais à 1x la book value (la valeur comptable des capitaux propres) contre une moyenne dix ans à 0.7x. Ceci est une normalisation du multiple de valorisation. D’autant que ce sont surtout les banques allemandes, italiennes, et espagnoles dont la situation semblait désespérée il y a quelques années, qui ont vu leur valorisation progresser et ainsi tirer vers le haut celle du secteur. Ainsi, Unicredit est maintenant valorisé à 1.1x la book value contre une moyenne à dix ans de 0.5x et Commerzbank à 0.9x contre une moyenne dix ans de 0.4x.
Si la valorisation est remontée, c’est que le cadre est redevenu plus propice pour les banques. En effet, après un âge d’or au début des années 2000, les banques ont traversé plusieurs crises ces quinze dernières années. La crise financière de 2008, bien sûr, suivie de la crise de la zone euro en 2011, du Brexit en 2016 et enfin de la pandémie de Covid en 2020. Au-delà de ces chocs, l’environnement général post-crise financière n’était pas favorable aux banques européennes. Les taux bas ont comprimé les marges nettes d’intérêt. Et la réglementation internationale sur le secteur (les accords de Bâle) a été plus strictement transposée en Europe qu’ailleurs dans le monde, limitant ainsi la prise de risques et in fine les bénéfices.
Avec le retour de l’inflation en 2021, les banques centrales ont été contraintes de remonter les taux d’intérêt. Cet environnement de taux plus élevés est favorable aux banques. Et même si la BCE a entamé un cycle de baisse des taux, tout semble indiquer qu’ils ne retourneront pas à zéro ; le régime d’inflation étant lui-même plus élevé que celui observé durant la décennie écoulée. Ensuite, plusieurs banques ont mené à bien des restructurations ; Unicredit et son patron devenu star de la finance, Andrea Orcel, en étant l’illustration parfaite.
Enfin, sur le plan règlementaire, l’impact négatif semble être passé. D’une part, nous sommes en quelque sorte à la « frontière technologique », et donc il ne devrait pas y avoir de réglementation additionnelle dans un futur proche. D’autre part, les banques ont constitué des positions en capital solides. Et cette solidité financière est désormais bénéfique puisqu’elle permet notamment de redistribuer davantage aux actionnaires, ce que nous avons vu depuis quelques années. Selon les estimations d’UBS, les banques européennes devraient distribuer le montant record de 123 milliards d’euros à leurs actionnaires pour le compte de l’exercice fiscal 2024.
La France à l’Ouest
Dans ce rallye du secteur bancaire européen, Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole manquent à l’appel. Les trois banques françaises ont connu des progressions comprises entre 3.5% et 16% depuis début 2022, bien en dessous donc de leurs concurrentes européennes, dont certaines ont vu leurs cours doubler sur cette période.
Pourquoi cet écart ? D’abord parce qu’historiquement, dans un secteur bancaire européen en plein marasme, il y avait quand même le « best in class français » qui surnageait un peu. Autrement dit les banques italiennes, espagnoles ou allemandes partaient d’une situation bien plus désespérée. Il est donc logique que les banques françaises aient moins bénéficié de cette séquence de rattrapage depuis trois ans.
Il y a aussi des raisons fondamentales derrière ce décrochage. Le modèle français étant plus rigide, les banques françaises ont moins bénéficié de la remontée des taux d’intérêt. D’abord, à cause du poids des livrets réglementés (Livret A, LEP, LDDS) et de leur rémunération. Ensuite, parce que l’impact positif des hausses de taux met plus de temps à se retranscrire dans les portefeuilles de prêts compte tenu de la part plus importante des crédits à taux fixe.
La fin du parcours ?
Compte tenu des écarts de performance, il peut donc être tentant de jouer un rattrapage des banques françaises. Et quand on regarde le consensus des analystes, c’est en effet là qu’il y a le plus de potentiel d’appréciation. La différence entre l’objectif moyen des analystes et le cours actuel est de l’ordre de 10 à 20% pour les banques françaises, contre 0 à 10% pour la plupart des autres banques européennes.
Sur le plan fondamental, les banques françaises bénéficient cette année de la baisse des taux sur les livrets réglementés tandis que la hausse des taux commence à se voir dans les portefeuilles de prêts. Mais le problème du secteur bancaire en bourse, c’est qu’il y a toujours une sorte de prime de risque pays dans la valorisation. Or, la France semble être entrée dans une nouvelle ère d’instabilité politique structurelle, ce qui rend le pari sur son secteur bancaire plus risqué.
Au-delà du cas français, les valeurs bancaires européennes offrent un bon rendement mais le potentiel d’appréciation nous semble désormais limité. Le re-rating du secteur est en grande partie derrière nous et la croissance bénéficiaire sera nulle sur les deux prochaines années. L’espoir pour le secteur bancaire pourrait venir d’une reprise de la croissance européenne, attendue depuis deux ans, qui viendrait doper la demande de crédits. Mais comme le dit l’adage, l’espoir ne fait pas une stratégie d’investissement.