par Mariam Karouny et Dominic Evans

BEYROUTH, 1er juin (Reuters) - La Syrie est au bord d'une guerre civile intercommunautaire qui serait catastrophique pour tout le Moyen-Orient, ont mis en garde jeudi des pays occidentaux en exhortant la Russie à faire pression sur son allié Bachar al Assad pour faire cesser le bain de sang.

Alors que les rebelles syriens ont invité Kofi Annan à prononcer la mort de son plan de paix, la chef de la diplomatie américaine a souligné que la perspective d'une spirale de la violence présentait "un danger terrible".

"Une guerre civile dans un pays qui serait déchiré par des divisions communautaires (..) risquerait de se transformer en une guerre par procuration dans la région parce que, souvenez-vous, l'Iran est profondément ancré en Syrie", a déclaré Hillary Clinton lors d'un déplacement à Copenhague durant lequelle elle a aussi invité Moscou à accroître ses pressions sur Assad.

La Russie, comme la Chine, a opposé à deux reprises son veto à des résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu appelant à des actions plus fermes contre Damas. Moscou espère dans le même temps que le plan Annan, pourtant moribond, puisse déboucher sur une solution politique.

"Les Russes ne cessent de nous dire qu'ils souhaitent tout faire en leur pouvoir pour éviter une guerre civile parce qu'ils croient que la violence serait catastrophique", a expliqué la secrétaire d'Etat dans la capitale danoise.

"Je pense qu'ils soutiennent dans les faits le régime au moment même où il faudrait oeuvrer pour une transition politique".

Son homologue britannique, William Hague, a estimé que la Syrie s'acheminait vers "une guerre civile générale ou un état d'effondrement".

L'Union européenne prépare actuellement de nouvelles sanctions contre le régime de Damas, a ajouté le secrétaire au Foreign Office, en invitant les autres pays à accentuer leurs pressions sur Assad.

Le chef de l'Armée syrienne libre (ASL), principale force combattante de l'opposition, a exhorté l'émissaire international à reconnaître l'échec de son plan de paix.

Si Annan reconnaissait l'échec de son plan, les insurgés se sentiraient libres de reprendre les armes, a affirmé le colonel Riad al Asaad, commandant de l'ASL basé en Turquie.

UNE OPPOSITION DECHIREE

Mercredi, un autre responsable de l'ASL installé, lui, en territoire syrien, a laissé 48 heures au régime de Bachar al Assad pour se plier aux exigences du plan Annan, faute de quoi les combats reprendront sans aucune retriction.

"Il n'y a pas d'ultimatum mais nous voulons que Kofi Annan publie une déclaration annonçant l'échec de son plan, de sorte que nous soyons libres de mener nos opérations militaires contre le régime", a dit le colonel Asaad à la chaîne de télévision Al Djazira.

Ces déclarations illustrent les divisions et l'absence de direction au sein de l'opposition syrienne.

Pour la représentante permanente des Etats-Unis à l'Onu, Susan Rice, le Conseil de sécurité doit agir sans attendre pour convaincre le gouvernement de Damas de mettre fin à la répression du mouvement insurrectionnel.

Sinon, a-t-elle averti, certains pays pourraient décider d'intervenir sans l'aval des Nations unies.

"En cas d'escalade de la violence", a poursuivi Susan Rice, "le conflit va s'étendre et s'intensifier (...), des pays de la région y seront impliqués et les violences prendront de plus en plus la forme d'un affrontement inter-religieux." "Nous aurons alors une crise majeure, pas seulement en Syrie mais dans toute la région", a-t-elle poursuivi.

RISQUE DE CONTAGION

Le régime de Bachar al Assad est dominé par la minorité alaouite de Syrie, une branche du chiisme, et soutenu par d'autres minorités du pays, notamment chrétienne, qui craignent de voir la majorité sunnite mettre en place un pouvoir sans partage - voire dominé par les islamistes proches d'Al Qaïda.

Assad peut en outre compter sur le soutien de l'Iran chiite et de ses alliés libanais du Hezbollah.

Pour Susan Rice, la crise syrienne risque de contaminer toute la région, "avec des armes arrivant de tous côtés", ce qui pourrait inciter certaines puissances mondiales à prendre des initiatives unilatérales.

Sur le terrain, le bain de sang se poursuit. Les observateurs de l'Onu ont fait état mercredi de la découverte des corps de 13 hommes exécutés sommairement près de la ville de Daïr az Zour, dans l'est du pays.

Vendredi dernier, le massacre de 108 personnes, dont de nombreux enfants, à Houla, dans l'Ouest, a suscité l'indignation de la communauté internationale et des diplomates syriens ont été expulsés de plusieurs capitales occidentales.

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, en visite à Istanbul, a estimé qu'un autre massacre de ce type plongerait la Syrie dans une guerre civile totale "dont elle ne pourrait jamais se relever".

En Israël, le général Yair Golan, responsable de la défense de la frontière nord de l'Etat hébreu, a estimé que la Syrie courait à sa perte et risquait à terme de devenir un vaste dépôt d'armes où les militants islamistes pourront se servir.

"La Syrie est plongée dans une guerre civile qui va conduire cet Etat à sa perte. C'est un terreau pour le terrorisme", a-t-il dit. "Le risque que tout cela représente pour Israël se précise peu à peu. C'est pour nous un défi énorme à relever", a-t-il dit, ajoutant que les forces de défense israéliennes se tenaient prêtes à toute éventualité. (voir )

En visite à Hammamet (Tunisie), le chef de la diplomatie chinoise, Yang Jiechi, a déclaré que Pékin gardait sa confiance dans le plan du diplomate ghanéen. "Nous continuons à soutenir les efforts de Kofi Annan (...) Nous savions depuis le début que ce ne serait pas un chemin de roses", a-t-il reconnu.

(Avec Laïla Bassam, Oliver Holmes, Ben Blanchard, Seda Sezer et Douglas Hamilton, Guy Kerivel pour le service français)