Les responsables monétaires européens sont de plus en plus agacés par les réticences des autorités nationales, des régulateurs et des banques elles-mêmes à engager un nécessaire nettoyage des bilans après des années d'atermoiements.

Selon KPMG, les créances douteuses des banques européennes atteindraient près de 1.500 milliards d'euros, dont 600 milliards pour les seuls établissements britanniques, espagnols et irlandais.

Dans une récente étude sur le sujet, le cabinet de consultants souligne que "toute une série d'opérations de réduction de bilan ne s'est pas encore matérialisée", les banques préférant proroger des prêts plutôt que de céder des portefeuilles et de constater des pertes.

Une initiative de la BCE qui permettrait de relancer le crédit en particulier pour les entreprises petites et moyennes est largement anticipée, même si ses implications budgétaires pourraient la renvoyer après le Conseil européen de la fin juin plutôt qu'à l'occasion de la prochaine réunion du conseil des gouverneurs, jeudi à Bratislava.

Pour autant, certains facteurs expliquant le rationnement présumé du crédit sont en dehors du champ d'intervention directe de la BCE.

"La BCE n'a pas de baguette magique", a récemment déclaré Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE. "La banque centrale ne peut pas compenser le manque ou la mauvaise allocation des fonds propres. C'est une question qui doit être traitée, d'une manière ou d'une autre, par d'autres parties prenantes", a-t-il souligné.

Les entreprises non-financières ont été les premières touchées par la chute du crédit, les banques européennes ayant réduit de 365 milliards d'euros leurs facilités de crédits au cours des quatre dernières années, soit un recul de 7,5%. Les banques espagnoles ont diminué d'un tiers leurs prêts aux entreprises tandis que leurs homologues irlandaises prêtent aujourd'hui moitié moins, selon les données de la BCE.

Le crédit aux ménages n'est pas en reste avec des prêts bancaires en baisse de 8,6% par rapport au dernier plus haut.

Les banquiers centraux s'inquiètent de ce que le recul du crédit n'accentue les tendances récessives déjà à l'oeuvre au sein de la zone euro.

OPÉRATION D'ARBITRAGE

Les représentants des banques soulignent de leur côté que la dégradation de la conjoncture économique et le manque de confiance des ménages comme des dirigeants d'entreprises expliquent le ralentissement de la demande de crédit.

Les banques ont toutefois tardé à nettoyer leurs bilans et les évolutions réglementaires les obligeant à renforcer leurs fonds propres pourraient les y avoir incitées.

La mise en vente de portefeuilles de créances douteuses, réalisées le plus souvent à perte, aurait un impact négatif sur les fonds propres au risque de compromettre les programmes d'amélioration des ratios et d'inquiéter les investisseurs.

Les banquiers font aussi valoir que les nouveaux ratios de fonds propres les empêchent non seulement d'assainir leur bilan mais aussi de consentir de nouveaux prêts qui impliqueraient du capital additionnel.

Certes, les régulateurs européens ont tenté de desserrer cette contrainte en réduisant les exigences de fonds propres sur les prêts aux petites et moyennes entreprises, mais cela ne fait que réduire le besoin de capital additionnel, sans le supprimer.

Aussi les banques ont-elles utilisé leurs liquidités excédentaires pour acheter des titres d'Etat, pour lesquels il n'y a pas d'exigence de constitution de fonds propres.

La détention de titres souverains par les banques de la zone euro a bondi de 21% depuis les injections massives de liquidités à moyen et long terme par la BCE pour atteindre 1.670 milliards d'euros.

"La hausse de la détention de titres d'Etat n'est qu'une simple opération d'arbitrage de fonds propres", relève Roberto Henriques, analyste crédit chez J.P. Morgan.

"Les banques n'ont pas à constituer de fonds propres au titre des portefeuilles souverains, donc la rémunération du risque est actuellement meilleure que sur le prêt aux entreprises".

La BCE est toutefois impuissante face à ces règles qui sont décidées à l'échelle nationale et hors de son champ de compétence. Entre l'hypothèque des créances douteuses et les effets potentiellement pervers des ratios de fonds propres, la BCE n'a guère d'autres choix que d'innover une nouvelle fois.

Plusieurs pistes sont évoquées par les intervenants de marché, allant d'achats directs mais limités de prêts aux entreprises à un accès au refinancement pour la Banque européenne d'investissement (BEI) en passant par la création d'une banque dédiée aux PME de la zone euro.

Dans tous les cas, la BCE sera amenée à faire peser sur son propre bilan un partie du risque liée au financement des entreprises. Même s'il s'agit d'un risque résiduel, elle ne pourra en décider seule car les pertes éventuelles seront supportées collectivement par ses dix-sept Etats actionnaires, qu'il lui faudra donc convaincre.

Gareth Gore, Marc Joanny pour le service français, édité par Marc Angrand