Une "baisse hawkish". C’est l’un de ces concepts un peu flous qu’adore utiliser les investisseurs pour montrer à quel point leur métier est difficile. C’était aussi le résumé de la dernière réunion de la BCE début mars. Ce que cette expression signifie, c’est que la dernière baisse de taux de la BCE s’est accompagnée d’un discours moins accommodant. Dans le communiqué, l’institution de Francfort indiquait que la politique monétaire était désormais "meaningfully less restrictive".
En clair, après six baisses de taux consécutives de 25 points de base qui ont amené le taux de dépôt à 2.5%, la BCE quittait le mode pilote automatique pour une approche "meeting by meeting". Pour comprendre l’évolution du discours, il faut revenir six semaines en arrière. A l’époque, la BCE commençait à être un peu tétanisée par l’annonce du plan de relance budgétaire en Allemagne et de l’augmentation des budgets militaires en Europe, qui laissaient entrevoir une croissance et une inflation plus élevée à moyen terme.
Droits de douane…et déflation ?
Mais depuis, tout le monde a compris que ces perspectives sont lointaines et que les effets sur la croissance ne seront pas visibles avant 2026 au mieux. Pendant ce temps, Donald Trump a accéléré sur le front commercial en imposant des droits de douane réciproques à tous les pays – 10% universels et 145% sur la Chine, avec diverses exemptions sectorielles, pour résumer succinctement la situation au moment où ces lignes sont écrites.
Une guerre tarifaire qui aura des impacts négatifs sur le commerce mondial et donc sur la croissance. La zone euro, qui compte beaucoup sur l’exportation sera particulièrement pénalisée. En 2024, l’excédent commercial était de 426 milliards d’euros. Ainsi, la BCE avait déjà révisé à la baisse sa perspective de croissance pour 2025 en mars (-0.2 points). Mais il est probable qu’une nouvelle révision ait lieu en juin – la BCE met à jour ses prévisions une fois tous les trimestres.
Mécaniquement, une activité qui ralentit, c’est plutôt déflationniste. Sachant que la situation actuelle, c’est une inflation qui est déjà revenue proche de la cible – le dernier chiffre d’inflation sous-jacente était à 2.4% - tandis que les différents indicateurs montrent une décélération des pressions salariales, derrière lesquelles les faucons de la BCE se sont longtemps retranchés.
Inflation sous-jacente - zone euro
Source : Trading economics
Ensuite, il y a l’impact des droits de douane sur les prix. Aux Etats-Unis, on évoque régulièrement le risque inflationniste de ces mesures. Mais pour la zone euro, le risque c’est davantage celui d’un impact déflationniste. En effet, si le marché américain se ferme pour les produits chinois, qui absorbera les surcapacités chinoises ? C’est en partie le marché européen. Un afflux de produits à bas coûts qui mettrait nécessairement une pression à la baisse sur les prix.
Autre élément à prendre en compte, l’euro s’est apprécié ces dernières semaines. D’abord parce que le dollar a corrigé – les Etats-Unis étant l’épicentre des inquiétudes des investisseurs. L’eurodollar est ainsi au plus haut depuis trois ans. Et lorsqu’on regarde le taux de change effectif de l’euro (donc pondéré par les échanges commerciaux), c’est même un plus haut depuis la création de la monnaie unique. Pour la BCE, c’est une bonne nouvelle car un euro qui s’apprécie ce sont des importations moins chères.
Taux de change effectif nominal de l’euro
Source : BCE
Pour la BCE, l’équation est donc désormais assez simple. D’un côté, la croissance devrait être plus faible qu’anticipée. Et de l’autre, plusieurs éléments pointent vers des pressions déflationnistes. La BCE semble donc en position de baisser les taux. Et le marché ne s’y trompe pas. Une baisse de taux de 25 points de base est attendue cette semaine. D’autres devraient suivre, puisque le marché anticipe un taux de dépôt entre 1.5% et 1.75% à la fin de l’année.