L'Asset Pricing, ou l'évaluation des actifs, a connu une évolution significative avec l'intégration de modèles de plus en plus complexes. Initialement, le modèle Capital Asset Pricing Model (CAPM), ou Modèle d'évaluation des actifs financiers (MEDAF) en français, se basait principalement sur le risque de marché pour déterminer le rendement attendu d'un actif. Cependant, pour saisir plus finement les nuances et les dynamiques du marché, de nouveaux facteurs ont été intégrés au-delà du simple risque de marché. Ces améliorations visent à mieux refléter les processus de pensée et les critères que les investisseurs utilisent pour prendre leurs décisions d'investissement. 

Le modèle à trois facteurs d’Eugene Fama et Kenneth French, introduit en 1992, élargit le CAPM en ajoutant deux facteurs supplémentaires au risque de marché : la taille des entreprises (Small Minus Big, SMB) et la valeur des actifs par rapport au marché (High Minus Low, HML). SMB capture la tendance historique des petites capitalisations à surperformer les grandes capitalisations, tandis que HML rend compte de la performance supérieure des actions ‘décotées" (Value stocks) par rapport aux actions de "croissance" (Growth stocks). 

La prime, dans le contexte de la gestion de portefeuille, peut être conceptualisée comme le rendement supplémentaire qu'un investisseur peut s'attendre à obtenir en adoptant une stratégie spécifique. Ici nous analysons plus précisément la prime HML (High Book to Market Value minus Low Book to Market Value) issue du modèle de Fama et French.  

Cette prime nous apprend que les entreprises Value offriraient des rendement plus importants que les entreprises Growth, plus fortement valorisées. Encore une fois, cette idée ne sort pas de nulle part : les entreprises faiblement valorisées sont souvent des entreprises opérant sur des marchés plus matures ou simplement des sociétés avec des perspectives de croissance faibles voire nulles. Ces entreprises, quel que soit leur stade de développement, peuvent avoir des actifs qui ne sont pas utilisés à 100% en période de dégradation économique. Le risque systématique sur ces entreprises serait donc plus important.

En revanche, il est important de noter que les entreprises à forte valorisation reposent souvent sur des hypothèses fortes concernant leurs futurs flux de trésorerie et leurs conditions de financement (croissance importante et soutenue avec un accès facile au financement). Cette dépendance peut rendre ces entreprises particulièrement vulnérables en période de hausse des taux d'intérêt, augmentant ainsi leur risque et justifiant potentiellement un rendement supérieur.

Cette prime de valorisation pourrait donc s’inverser suivant le contexte économique, et c’est ce que nous allons expliquer ici. Le graphique ci-dessous qui compare la prime HML du marché européen (vert) et du marché américain (bleu) nous indique une différence marquée entre les deux marchés depuis 2023.

HML Premium US (blue) vs. Europe (green) (Source : Zonebourse.com)

Comment interpréter cette divergence ? En Europe, la prime HML monte : les valeurs décotées apportent un meilleur rendement par rapport aux valeurs de croissance. Aux Etats-Unis, la prime est à plat (flat) voire décroît légèrement, ce qui signifie que les valeurs décotées n’apportent pas forcément un meilleur rendement que les valeurs de croissance dans le pays. 

Comment expliquer une telle différence ? Plusieurs facteurs économiques peuvent expliquer ce phénomène. D’abord, lorsqu’on se penche sur les épisodes précédents qui ont marqué un écart entre les primes HML américaines et européennes avant 2023, nous remarquons que fin 2013, début 2017 et 2021 sont des périodes au cours desquelles l’écart s’est creusé entre les deux marchés. Il se trouve que ces épisodes coïncident avec, d’une part un écart marqué du ratio cours sur bénéfice des indices (PER), et d’autre part une corrélation en baisse entre les indices.

Source : Bloomberg

Le PER mesure le rapport entre le cours actuel d'une action et son bénéfice par action. Lorsqu'il est élevé, cela peut indiquer que le marché estime que la croissance future des bénéfices sera forte, tandis qu'un PER bas pourrait suggérer que le marché est sous-évalué ou que l'entreprise fait face à des défis. Lorsque les PER des indices boursiers tels que le S&P 500 aux États-Unis et le STOXX Europe 600 divergent significativement, cela reflète des différences dans les attentes de croissance des bénéfices entre ces régions, influençant ainsi les décisions d'investissement. La baisse de corrélation entre les deux indices conforte un peu plus l’idée d’une divergence dans les performances économiques entre les États-Unis et l'Europe. 

Ainsi, ces données nous aident à comprendre le mécanisme expliquant ces écarts de prime HML. Les actions américaines affichent des performances records depuis le début de l’année et le cycle d’abaissement des taux directeur entrepris par la Fed favorise le financement de ces dernières. Un financement plus accessible favorise la croissance et par extension les valeurs Growth. Déjà que le marché américain est à ses plus hauts, traitant avec une prime supérieure aux autres marchés, il devient alors difficile de voir apparaître un mispricing sur ce marché, et par extension de dégager de la performance avec une approche Value. 

En Europe, le marché connaît une croissance beaucoup plus faible et les observateurs/investisseurs sont plus pessimistes quant à la conjoncture à moyen-terme. De là, il devient plus simple de voir apparaître une décote de certaines valeurs, et donc d’expliquer pourquoi la prime Value est plus importante qu’aux Etats-Unis. L’écart de PER entre le S&P 500 et le STOXX Europe 600, n’a pas été aussi important depuis la bulle internet de 2001. 

Avoir en tête cette dynamique de marché peut aider à recalibrer son portefeuille. Les opportunités de décotes en Europe mettent en avant l’approche Value. En comparaison, le marché américain étant lui très “cher”, ne permet pas de dégager un alpha significatif, que cela soit avec une approche Value ou Growth.

 

Quelques actions Value européennes : 

  • Scor : le géant français de la réassurance a subit au cours des dernières années son mauvais management et ses décisions stratégiques douteuses. Désormais, l'exécutif s'est renouvelé et a procédé à une large rationalisation de son portefeuille. L'entreprise, qui devrait renouer avec les bénéfices en 2025, dispose d'un price to book ratio (P/B) de 0,84, inférieur à un, nous indiquant que le prix de son action est faible par rapport à sa valeur comptable.
  • Michelin : le leader mondial du pneumatique est au cœur de la discorde avec la relocalisation de sa production hors de France. Avec un PER de 11, soit en dessous de la moyenne des pairs, il représente une belle opportunité de s'exposer à l'automobile et surtout à l'électrique, qui consomme bien plus de pneus que les voitures thermiques.  
  • Vodafone : un des plus importants opérateurs mondiaux de téléphonie mobile a vendu ses activités en Espagne et en Italie pour se reconcentrer sur le marché britannique. Il est de plus en discussion avec un autre opérateur, Hutchison Telecommunications, pour une fusion stratégique.
  • Buzzi : l'entreprise italienne spécialisée dans la fabrication de matériaux de construction traite actuellement à un PER de 7,7x. Pourtant, sa position forte en Europe eet aux Etats-Unis ainsi que sa nouvelle exposition aux marchés émergents laisse entrevoir un bon espoir d'appréciation. 
  • Aalberts : le constructeur néerlandais exploite quatre pôles technologiques critiques sur quatre marchés finaux : les bâtiments écologiques, l'efficacité des semi-conducteurs, les transports durables et les niches industrielles. Malgré des difficultés sur le segment des bâtiments, l'entreprise compte maintenir ses marges et continuer de se déployer sur les marchés émergents.