L’accident nucléaire de Fukushima accélérateur du déficit commercial

Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011, l’activité du Japon s’est vue stoppée net. S’en est suivi un recul du PIB de 0,60% au cours de cette année, après avoir connu une expansion de 4,65% en 2010, ainsi qu’un déficit commercial record de 2500 milliards de yens (25,7 milliards d’euros) alors que le pays est habitué à des excédents commerciaux gigantesques. Malgré un retour de la croissance en 2012 (+2,05%), la balance commerciale continue sa descente aux enfers et atteint les 6940 milliards de yens.

L’accident nucléaire n’excuse pas à lui seul de tels maux mais y a largement contribué. Comme l’explique Koji Shimamoto, chef économiste à la Société Générale CIB au Japon : « Beaucoup d’économistes avaient prévu le déficit de la balance commerciale, mais pas si tôt, parce qu’ils n’avaient pas prévu Fukushima. La catastrophe a accéléré les changements en cours ». L’archipel nippon souffre du ralentissement de l’économie mondiale et notamment de ses principaux marchés, l’Union Européenne, les Etats-Unis et la Chine, avec lesquels le pays creuse de plus en plus son déficit commercial.

Un problème de longue date : la déflation

Par ailleurs, le Japon fait face depuis ces 15 dernières années au recul général des prix, très dangereux pour l’économie réelle. La déflation, d’une part, augmente les taux d’intérêt réels, définis par le célèbre économiste Fisher comme la soustraction du taux d’inflation au taux d’intérêt nominal, et d’autre part accroît la valeur des dettes. Les entreprises se voient alors dans l’obligation de se débarrasser de leurs avoirs et de solder leurs stocks pour se désendetter, accélérant ainsi la déflation. De même, les résidents anticipant la baisse des prix, ne sont pas incités à investir puisqu’ils pourront le faire plus tard à moindre coût, réduisant de fait la consommation et la croissance.

La politique monétaire nippone n’a, depuis des décennies, pas encore été en mesure de contrer cette spirale déflationniste de manière pérenne.  Après la décision de la Banque du Japon, en 2003, de porter de 40 à 300 milliards de dollars le montant des titres qu’elle est susceptible d’accepter à son bilan, l’archipel réussit à sortir la tête de l’eau et de la baisse généralisée des prix. Malheureusement, la BoJ fait l’erreur de ralentir l’injection de liquidités juste avant que la crise pointe le bout de son nez et replonge le pays dans la déflation au taux record de -1,7% en 2009. Depuis, les prix n’ont toujours pas retrouvé le chemin de la hausse.

Une politique monétaire aggressive

Après la démission de Masaaki Shirakawa fin janvier, l’ancien président de la Banque asiatique de Développement, Haruhiko Kuroda, a été désigné par le gouvernement pour diriger la BoJ. Ce proche du parti conservateur favorable à une politique ultra-accommodante souhaitée par le premier ministre japonais Shinzo Abe, a pour mission d’en finir avec la baisse des prix et d’atteindre un objectif d’inflation à 2% d’ici 2015. Pour ce faire, la mesure phare est l’injection massive de liquidités grâce à un doublement de la base monétaire (monnaie directement émise par la banque centrale) en deux ans.  L’effet recherché est de faciliter le financement des particuliers et des entreprises, par le biais d’importants rachats d’obligations d’Etat et de titres de fonds cotés et immobiliers, permettant entre autre le financement des 20 000 milliards de yens (175 milliards d’euros) de mesures d’urgence souhaitées par le premier ministre.
Cette politique monétaire agressive a été saluée par l’actuelle directrice du FMI, Christine Lagarde, estimant que ce sont de telles décisions qui soutiennent « les économies avancées » et « la croissance mondiale ». De même, l’OCDE, dans son rapport sur les économies du G7, invite le Japon à poursuivre cette politique de manière encore plus agressive pour que l’objectif d’inflation puisse être atteint.

Cependant, Sébastien Lechevalier, président de la Fondation France-Japon, estime que l’expansion de la masse monétaire ne suffira pas à relancer les prix et la croissance. D’après lui, la consommation contribue encore trop faiblement au PIB japonais et les salaires en stagnation sont la principale cause de la déflation. Le gouvernement devrait appliquer une véritable politique des revenus, sans quoi l’accélération des rachats d’actifs manquerait d’efficacité pour relancer l’inflation.  De même, M. Kuroda admet, lors d’un discours à Tokyo, que « du fait de la politique d’achat à grande échelle d’obligations d’Etat par la Banque du Japon, certains craignent que cela ne se traduise par un financement du déficit budgétaire ». 

La dette publique devient dangereuse

Par ailleurs, cette politique monétaire est susceptible d’accroître les risques liés à la dette publique du pays (colossale à 230% du PIB) même s’il n’y a actuellement pas de danger car le Japon est épargnant net (balance courante positive), ce qui permet de rembourser la dette. Cependant, cette épargne (détenue à 93% par des résidents) est en train de se réduire graduellement du fait des déficits commerciaux accumulés ces deux dernières années, combinés aux départs massifs à la retraite des baby-boomer. La politique inflationniste devrait mécaniquement accélérer ce mouvement de réduction de l’épargne, qui associée au déficit commercial est de nature à réduire l’excédent de balance courante qui a déjà entamé sa chute (Q4 2010 3,71% du PIB ; Q4 2012 1,01%), augmentant ainsi le risque lié à la dette de l’archipel nippon.   

Il est donc nécessaire pour le gouvernement de rassurer les investisseurs en menant une politique budgétaire stricte, sous peine de voir la confiance des marchés se contracter et les taux d’intérêts s’envoler. L’actuel gouverneur de la BoJ est bien conscient de cet enjeux et admet « qu’il est vital pour le gouvernement de montrer clairement qu’il s’oriente vers l’assainissement budgétaire et de régulièrement faire des progrès pour réformer la structure financière ».  Le gouvernement devrait d’ailleurs proposer au courant de l’année un plan intégrant des réductions de dépenses et des hausses d’impôts pour rétablir la viabilité budgétaire japonaise.
 

La nouvelle politique de la banque centrale et du gouvernement se veut aussi ambitieuse qu’agressive. Le pays prend le pari que mettre fin à 15 années de déflation et redresser la balance commerciale passe par une injection de liquidités massive. Faut-il encore que les mauvaises habitudes soient perdues, et que cette politique ne s’arrête pas au moindre signe d’amélioration. Il faudra, par ailleurs, rassurer les investisseurs quant à la dette en proposant des mesures crédibles pour assainir la situation budgétaire, préserver la confiance des marchés et éviter toute perturbation des taux d’intérêts obligataires.