TEHERAN, 5 février (Reuters) - Chaque jour qui passe, les épaules d'Hasan Shafari, vendeur de légumes à Ispahan, en Iran, plient un peu plus sous le poids de sanctions occidentales adoptées à l'encontre de son pays pour l'inciter à renoncer à son programme nucléaire controversé.

"Les prix augmentent chaque jour, la vie est chère. J'achète du poulet ou de la viande une fois par mois. Avant, j'en achetais deux fois par semaine", explique ce père de quatre enfants qui vit dans cette ville du centre de l'Iran. "Parfois, j'ai envie de me tuer. Je me sens désespéré. Je ne gagne pas suffisamment pour nourrir mes enfants."

A moins d'un mois des élections législatives du 2 mars, la question du pouvoir d'achat et de la vie chère devrait s'imposer comme le thème central de la campagne alors que de nouvelles sanctions américaines et européennes ont été adoptées contre l'Iran ces derniers mois.

L'Iran, accusé par l'Occident de chercher à se doter de l'arme nucléaire, affirme que son programme nucléaire vise uniquement à produire de l'électricité.

A plusieurs milliers de kilomètres de Washington ou de Bruxelles où une série de nouvelles sanctions ont été adoptées, les Iraniens déclarent ressentir leur impact de plein fouet.

"Mon père a perdu son travail parce que l'usine dans laquelle il travaillait depuis 30 ans a fermé le mois dernier. Je suis très pessimiste. Pourquoi cela nous arrive à nous?", se lamente Behnaz, un étudiant en mathématiques, dans la ville de Rasht (nord).

"Je ne sais pas si les prix ont augmenté avec les sanctions. La seule chose que je sais c'est que nos vies sont fichues. Je n'ai aucun espoir en l'avenir."

Face aux sanctions, les autorités iraniennes tiennent un double langage, affirmant qu'elles n'ont aucune conséquence sur l'économie nationale tout en appelant les Iraniens à faire preuve de solidarité.

S'exprimant pour la première fois officiellement sur le durcissement occidental des sanctions, le guide suprême de la Révolution iranienne, l'ayatollah Ali Khamenei, a affirmé que ces mesures rendaient l'Iran plus fort et plus indépendant.

"Des telles sanctions vont nous être profitables. Ils vont nous rendre encore plus indépendants", a-t-il déclaré lors d'un discours télévisé, prononcé à l'occasion de l'anniversaire de la révolution islamique de 1979.

FIERTE NATIONALE

Une réthorique dans laquelle se reconnaît une partie de la population iranienne, prête à tous les sacrifices pour défendre un programme nucléaire devenu le symbole de la fierté nationale.

"L'Amérique utilise la question nucléaire comme une excuse pour remplacer notre régime par un pouvoir fantoche et contrôler nos ressources énergétiques. Mais nous ne les laisserons pas faire. La technologie nucléaire est notre droit et je soutiens complètement la position de nos leaders. Mort aux Etats-Unis", lance ainsi Mohammad Reza Khiorrami, dans la ville de Chalous (nord).

En imposant des sanctions économiques visant le coeur de l'industrie pétrolière iranienne, l'Occident espère que les Iraniens se dresseront contre le pouvoir et les signes de lassitude face au pouvoir se multiplient.

"Je ne suis pas un femme politique. Je me fiche de la dispute autour du nucléaire. Je ne pourrai bientôt pas acheter de la nourriture et d'autres produits de première nécessité pour mes enfants", indique Mitra Zarrabi, une enseignante et mère de trois enfants.

"La dispute autour du nucléaire? Ne me faites pas perdre mon temps avec des questions sans intérêt", lance Reza Zohrabi, 62 ans, rencontrée sur un marché de la ville de Kashan. "Parler de la politique et du nucléaire ne m'intéresse pas. Je dois trouver un moyen de rapporter du pain sur la table familiale."

Les nouvelles sanctions, prévues dans le cadre de la loi promulguée le 31 décembre par le président américain Barack Obama, visent les transactions avec la banque centrale iranienne.

L'Union européenne, qui a acheté 20% des 2,6 millions de barils par jour de pétrole exportés l'année dernière, a annoncé un embargo sur les importations de brut iranien.

Les premiers effets commencent à se faire ressentir. Les bateaux délaissent les ports iraniens, Téhéran n'étant plus en mesure de payer les fournisseurs. L'importation de maïs ukrainien a ainsi baissé de 40% le mois dernier.

La Chine, l'un des plus grands partenaires commerciaux de la République islamique, a par ailleurs réduit ses importations de pétrole iranien en janvier et février.

NE PAS DEVENIR COMME L'IRAK

Pour les Iraniens établissant un lien entre les sanctions internationales et la dégradation des conditions économiques dans le pays, l'exemple le plus parlant est celui de l'Irak, visé par un embargo entre 1991 et 2003.

"Je ne veux pas que l'Iran devienne comme l'Irak avant l'invasion des Etats-Unis. Avec les sanctions, nous allons bientôt avoir des problèmes pour trouver des biens de première nécessité et même des médicaments", indique Rokhsareh Sharafoleslam à Chalous.

Pendant des décennies, l'Iran a utilisé ses richesses pétrolières pour accorder des subventions directes aux principaux produits énergétiques et à certains produits alimentaires.

Ces subventions ont été supprimées par le président Mahmoud Ahmadinejad qui a reversé une partie des économies attendues sous forme d'aide directe à la population, de l'ordre de 110 dollars par mois pour une famille de quatre personnes.

Une politique qui pourrait profiter au chef de l'Etat qui sera opposé lors du scrutin du 2 mars à la frange dure de l'échiquier politique iranien, les candidats réformateurs ayant été empêchés de se présenter.

"Les personnes gagnant des bas salaires dans les villages et petites villes peuvent vivre de cet argent. Le camp d'Ahmadinejad devrait donc remporter leurs voix lors des élections législatives", indique l'analyste Hamid Farajvashian.

L'inflation annuelle avoisine les 20% mais les économistes et certains députés parlent d'un taux de 50% alors que le prix du pain, du riz, des légumes s'envole.

"Nous sommes inquiets et effrayés. Je suis déprimée quand je pense à l'avenir des mes enfants. Que se passera-t-il si les Etats-Unis et d'autres pays imposent de nouvelles sanctions à l'Iran", s'inquiète une femme au foyer, à Kermanshash. (Marine Pennetier pour le service français)