* Intermédiaires et sociétés écrans sont impliqués

* Un cousin du président particulièrement cité

* Les participants assurés d'importants retours sur investissement

par Jonathan Saul

LONDRES, 14 novembre (Reuters) - Des proches de Bachar al Assad devraient retirer de substantiels profits du commerce secret de denrées alimentaires en Syrie après des mois de difficultés d'approvisionnement, affirment des sources professionnelles et d'autres issues de l'opposition.

Le pays, où la guerre civile fait rage depuis mars 2011, connait sa plus mauvaise récolte de blé depuis trois décennies, obligeant le régime à multiplier les efforts pour reconstituer des stocks alimentaires en berne.

Faisant appel à des sociétés et à des compagnies maritimes écrans, un discret réseau commercial et logistique se met aujourd'hui en place pour non seulement procurer des produits alimentaires mais aussi générer de gros bénéfices pour les membres du "premier cercle" du chef de l'Etat, disent des sources professionnelles au fait du dossier.

Deux personnalités sont tout particulièrement citées dans ce commerce effectué par le truchement d'intermédiaires : Rami Makhlouf, un cousin de Bachar al Assad et son principal allié financier, et Ayman Djaber, qui est visé par des sanctions internationales.

"De grandes figures du régime ont créé des sociétés servant de couverture et utilisent des compagnies maritimes pour acheminer en toute sécurité des vivres en Syrie. C'est aussi un commerce juteux et tous ceux qui y participent devraient en tirer profit", explique l'une de ces sources.

"Les personnes impliquées agissent naturellement en arrrière-plan et avec le minimum de traces écrites (...) Dès qu'une société est dévoilée, une autre émerge, c'est la seule façon de rester dans la course".

"LA SURVIE"

Selon Ayman Abdel Nour, un ancien camarade d'université et conseiller de Bachar al Assad qui a quitté son pays en 2007 et est devenu l'une des figures de l'opposition, des membres du premier cercle jouent un rôle pivot dans l'économie.

"Ce sont ceux qui aident le président à rester au pouvoir. Le gouvernement ne touche aucun revenu, personne ne paie d'impôt et le robinet des exportations de pétrole est fermé. Aujourd'hui, l'enjeu est tout simplement la survie", explique Abdel Nour, directeur du site d'information all4syria.info

D'après cet opposant et des sources commerciales, les réseaux en question opèrent d'Europe et du Proche-Orient, et notamment du Liban, pour faciliter les échanges.

Ces dernières semaines, des cargaisons de nourriture comprenant du blé destiné à fabriquer de la farine, du sucre et du riz ont commencé à circuler en plus grosse quantité grâce notamment au déblocage de comptes bancaires gelés qui étaient jadis soumis à des sanctions.

De sources bancaires, on pointe du doigt plusieurs banques du Moyen-Orient opérant en Europe et qui disposaient de fonds gelés dans des pays comme la France, l'Italie et l'Allemagne.

"Créér des voies d'approvisionnement fiables pour des produits de base comme les aliments et le carburant est devenu crucial pour les efforts du régime visant à battre l'opposition armée", souligne Torbjorn Soltvedt, du cabinet de consultant en risque Maplecroft.

"L'élite des PME qui contrôle la vaste majorité de l'économie syrienne gagne beaucoup à renforcer l'économie parallèle afin de minimiser les pertes financières engendrées par la guerre civile".

OCCASION UNIQUE

D'après les sources commerciales, l'un de ces acteurs opérant pour le compte de l'Etat syrien est Aman Group, une société gérée par la famille Foz à partir de la ville portuaire de Lattaquié. Elle fait office de courtier pour les contrats de blé passés avec l'organisme public d'achat.

Yass Marine, une ligne maritime immatriculée à Tripoli, au Nord-Liban, ainsi qu'en Syrie, serait également du nombre. Selon des statistiques maritimes compilées par le cabinet d'analyse Windward, la flotte de vraquiers de Yass Marine a, ces derniers mois, débarqué des cargaisons en Syrie en provenance de ports situés en Ukraine, en Turquie, en Russie et au Liban.

Les Etats-Unis et l'Union européenne ont imposé des sanctions à Bachar al Assad et à son gouvernement comprenant le gel d'avoirs et de comptes bancaires. Les échanges commerciaux avec la Syrie portant sur la nourriture sont toutefois exempts.

Ces transactions, y compris pour les courtiers qui concluent les marchés et les lignes maritimes qui acheminent les cargaisons, sont extrêmement lucratives.

"Rien de surprenant à ce que les proches de Bachar al Assad y participent et que tant de gens impliqués dans la chaîne puissent faire autant de profits : c'est, pour beaucoup, une occasion rêvée qui ne se reproduira pas de leur vivant", explique une source commerciale du Proche-Orient. (avec Maha el Dahan à Abou Dhabi, Humeyra Pamuk à Ankara et Mariam Karouny à Beyrouth, Jean-Loup Fiévet pour le service français, édité par Gilles Trequesser)