"L'analyse quotidienne des conjonctures économiques et des marchés nous a appris qu'au-delà des engouements passagers pour une théorie, un secteur ou une valeur, la réalité macro-économique finissait toujours par primer. La période actuelle ne fait pas exception à cette règle. Toutes les classes d'actifs restent fondamentalement dirigées par la lecture projetée de la conjoncture que font les intervenants de marché", note Philippe Forni, directeur général de Camgestion.

"La période que nous analysons aujourd'hui n'est pas différente de celles des deux ou trois derniers mois. Les questions fondamentales demeurent la mesure et la provenance de la croissance mondiale."

"Une seule chose change vraiment. Les marchés financiers, c'est-à-dire tous les professionnels qui agissent pour leur propre compte ou celui de clients petits ou grands, commencent à intégrer que le monde de demain ne verra plus une seule locomotive outre-Atlantique tirer la croissance mondiale. Les Etats-Unis se trouvent dans une telle situation dégradée de leurs finances publiques qu'ils n'ont tout simplement plus la capacité de jouer ce rôle."

"L'explosion de la bulle immobilière, toujours très loin d'être terminée (les prix immobiliers des 20 plus grandes villes mesurés par l'indice Case-Shiller marquent une nouvelle baisse significative) continue de générer l'obligation de désendettement des ménages tout en accentuant l'effet d'appauvrissement. La croissance en berne (1,8%) ne favorise pas la baisse du chômage (9,1%). Cette situation de l'emploi n'est pas propice à un redémarrage significatif et durable de la consommation qui représente aux USA près de 70% de contribution à la croissance."

"Pour certains, et sur ce plan, l'Euroland représenterait presque un must avec une croissance positive sur le premier trimestre et de 1,5% pour l'Allemagne et de 1% pour la France. Pourtant ne rêvons pas. Les indicateurs avancés vont malheureusement tous dans le même sens et montrent également et sans catastrophisme, une décélération de l'activité sur le second trimestre."

"Aujourd'hui, nous ne parlons pas de récession, de rechute ou de double dip, mais d'un ralentissement. Face à cette situation des deux cotés de l'Atlantique, les marchés s'inquiètent à juste titre, du mur de la dette. Le coût d'une dette insupportable pour un pays est connu. Il suffit de relire l'histoire récente (Argentine, Mexique, certains pays de l'Est, Grèce, Irlande, Portugal). De la capacité à rembourser ses créanciers dépend la possibilité d'emprunt futur indispensable au développement de la croissance."

"Du retour à la croissance, dépend la capacité de réduction de la dette et donc de saine gestion. Mais voilà, les Etats se pensaient au dessus d'une comptabilité de boutiquiers. Aucun des pays développés (peut-être à l'exception de l'Allemagne) n'a entrepris ce type de politique. Aujourd'hui le cancer de la dette ronge les pays qui en ont usé (tous les pays développés) ou abusé (la Grèce par exemple). Le projecteur est braqué depuis de longs mois sur la situation européenne en matière de finances publiques avec les thèses anglo-saxonnes de l'explosion de l'euro."

"Dans une telle circonstance, que deviendrait l'Allemagne avec un mark immédiatement fortement surévalué et la Grèce avec une drachme sans valeur ? La dette est là. Partout. Excessive. Elle doit être jugulée autrement que par des théories fumeuses de retour d'une inflation bienvenue. Les efforts sont indispensables et ne manqueront pas de peser directement ou indirectement sur le consommateur et au final sur la croissance."

"Mais si la dette est un problème en Europe, elle ne doit pas occulter l'immensité de la difficulté similaire aux USA. Le stock de dettes s'y élève à 14.000 milliards de dollars. Il atteint la limite autorisée par le Congrès. L'Etat fédéral vit déjà d'expédients (arrêt de l'alimentation de la caisse de retraite des fonctionnaires, coupure de lignes budgétaires d'équilibrage d'Etats en grande difficulté). Il pourra tenir jusqu'au 2 août. Après cette date, et faute de compromis politique au Congrès, le pays serait en situation de cessation de paiement."

"Evidemment cela ne se produira pas. Mais la situation est à la fois suffisamment préoccupante et rare pour être signalée. La Réserve fédérale indique que la seule politique monétaire ne suffira pas. Les agences de notation s'en inquiètent. Ainsi, après Standard & Poor, Moody's relève le fait et met en garde. Un virage de réduction drastique des déficits doit être négocié et surtout transcrit par des actes. Dans le cas contraire, et en période de croissance en retrait, les marchés pourraient également se poser la question de la capacité à rembourser selon le calendrier prévu."

"Dans ce cas, aux taux longs pourrait s'ajouter la reconstitution d'une prime de risque provoquant ainsi leur remontée sensible rendant la résolution de l'équation de financement encore plus complexe. Mis bout à bout, tous ces éléments militent des deux cotés de l'Atlantique, pour une croissance annuelle modérée comprise entre 2 et 2,5% aux USA et entre 1,8 et 2% en Euroland."

"Autre inquiétude : l'inflation. S'il est certain que la longue phase de désinflation que nous avons connue sur la dernière décennie est achevée, il est loin d'être certain que nous soyons entrés dans une phase de forte accélération de l'inflation. En effet, cette dernière est d'abord fortement présente dans les pays émergents (Inde, Chine ...) et trouve sa source première dans l'augmentation du prix des produits de base alimentaires et ensuite des coûts de l'énergie."

"L'envolée des matières premières agricoles est la résultante d'une demande forte mais qui s'inscrit dans un univers de calamités naturelles marquées qui ont réduit l'offre sur plusieurs continents. Les causes disparaissant, ces tensions sont appelées à se calmer. Concernant l'offre de pétrole et de gaz, il n'y a pas à ce jour de problème d'offre et l'Arabie Saoudite a encore la capacité de produire près de 3,5 millions de barils/jour supplémentaires de pétrole. Encore faut-il que les membres de l'Opep puissent s'entendre."

"La cause de la hausse actuelle est donc d'abord à rechercher dans l'inquiétude des opérateurs face aux turbulences du monde arabe, en période de croissance des grands émergés. Il est également assez vraisemblable de croire à une stabilisation des prix qui, de facto, ferait également baisser le niveau général de l'inflation. Il semblerait que cette lecture soit partagée par les principales banques centrales. La réserve fédérale a décidé, en cette fin de QE2, de ne pas modifier sa politique de taux courts très bas."

"Et si la BCE a initié un mouvement de hausse de 25 bps de ses taux courts sur des craintes de résurgences inflationnistes, elle parle aujourd'hui davantage de normalisation et espace dans le temps, les prochaines hausses que nous anticipons (50 bps environ). A l'aube des épreuves de vérité inévitables dans cet univers toujours plus complexe quels placements privilégier ?"

"Les placements réputés sûrs et tangibles (or physique, immobilier) sont déjà chers et proposent peu ou pas de rendement. Pour les raisons indiqués ci-dessus, les matières premières agricoles et énergétiques sont en phase de stabilisation, voire de léger retrait. Restent donc les classes d'actifs traditionnelles actions, convertibles et taux."

"Le rendement du monétaire est appelé à monter avec les modulations des politiques monétaires. La reconstitution d'une poche de liquidité avant l'été pour profiter d'effet d'aubaine sur les marchés est une piste à considérer."

"Nous restons favorables globalement aux marchés d'actions avec une lecture de long terme et en accentuant les achats sur les phases de repli. Les actions restent globalement à un niveau de prix correct (en termes de PER) et continuent de bénéficier des excellents résultats financiers des entreprises ainsi que des mouvements de concentration. Nous restons cependant prudents sur les cycliques dans un contexte de croissance molle et nous nous intéressons à nouveau aux valeurs de rendement généralement plus défensives. Nous trouvons également une réelle valeur dans le marché injustement délaissé à nos yeux, des moyennes et petites capitalisations."

"Nous évitons la dette souveraine américaine, chère et présentant selon nous un risque significatif en matière de taux et de devise. Si le marché des dettes gouvernementales européennes nous parait encore soit trop cher (pays coeurs) soit trop risqué (Europe du sud) nous continuons d'y préférer à défaut des obligations privées classiques chères à l'émission, les obligations convertibles qui par leur convexité permettent d'amortir les chocs et de participer aux accélérations des marchés d'actions."