"S’il est admis qu’à la suite de la crise que nous avons connue, il était nécessaire de revoir la régulation financière dans son ensemble, Ariane Obolensky ne cache pas ses inquiétudes sur les conséquences néfastes que la mise en application des nouvelles exigences du Comité de Bâle pourrait engendrer au niveau du financement de l’économie française.

Une réglementation bienvenue

«Dès 2008, nous avons publié un petit fascicule arguant une position de principe selon laquelle un renforcement de la réglementation bancaire était indispensable. Nous n’étions pas partisans de concourir à une dérégulation compétitive à laquelle certains s’étaient livrés. Cette position nous a fait considérer qu’il était normal que l’on resserre le ratio de fonds propres, qu’il était normal que l’on revoie les définitions des fonds propres de manière à mieux absorber les pertes éventuelles et à homogénéiser les cadres en vigueur dans chaque pays. Cette position nous a également conduits à estimer justifié le fait de chercher à introduire des ratios de liquidité, ce que la banque de France avait fait depuis longtemps dans notre pays» assure Ariane Obolensky.
Cependant l’issue du processus actuel pose très clairement pour la directrice générale de la Fédération bancaire française plusieurs questions.

Les risques liés aux exigences en matière de fonds propres

En matière de fonds propres, l’effort demandé aux banques est important. Il représente pour l’ensemble des banques européennes environ 500 milliards d’euros. «Un tel montant n’est pas aussi facile à mobiliser. Dire que cela n’aura pas d’impacts sur les équilibres macrofinanciers et macroéconomiques ne tient pas la route» assure Mme Obolensky.
Cette dernière se montre particulièrement inquiète de ce qui pourrait être décidé au sujet des IFIS (Institutions financières d’importance systémique), autrement dit les banques dont la faillite déstabiliserait l’ensemble du système financier mondial (au regard de la taille de leur bilan et des relations étroites avec d’autres institutions financières). L’industrie bancaire française étant relativement concentrée, les groupes de l’Hexagone ont plus de risque d’être pénalisés par ces nouvelles requêtes que les groupes de l’économie italienne ou de l’économie allemande.

«Des exigences supplémentaires pourraient être arrêtées en matière de fonds propres. Ceci risque de concerner quatre des cinq grands groupes bancaires français qui représentent environ 60% du financement de notre économie (70% du financement des PME). Ces banques pourraient donc être contraintes d’aligner un ratio de fonds propres de 1 à 3% supplémentaire. Cela ne sera pas sans effet. Ces institutions devront soit abandonner certains pans de l’économie, ou se résoudre à avoir une profitabilité moindre» prévient Ariane Obolensky.

Il y a fort à penser que des réallocations d’actifs seront nécessaires à des degrés divers. «Ces actifs réalloués dans les fonds propres seront autant d’actifs qui ne pourront pas être mis au service du financement de l’économie» met en garde la représentante de la FBF. La sélectivité au niveau de l’octroi du crédit a vocation à se renforcer.

«Nous avons le sentiment que nos banques qui n’ont pas été à l’origine de la crise, qui ont été relativement sérieusement gérées, qui sont surtout dans une activité de banque de détail vont payer un tribut plus lourd que les banques impliquées dans des activités qui ont généré plus de pertes et qui d’une certaine manière ne sont pas aussi fondamentalement utiles à l’économie» déplore Mme Obolensky.

Les risques liés aux exigences en matière de liquidité


Au-delà des propositions actuelles de Bâle en matière de fonds propres, ce sont surtout les suggestions faites en matière de liquidité qui sont susceptibles d’entrainer des disfonctionnements importants dans le financement de l’économie, selon la directrice de la FBF.
«Bâle III demande pour 2015 des matelas de liquidité très élevés qui devront être constitués essentiellement par certaines valeurs jugées liquides, des valeurs gouvernementales en majorité (Bund allemand en tête, et tresuries américains). Ce matelas détournera les banques d’un investissement dans les obligations d’entreprises» précise Ariane Obolensky.

Par ailleurs, dans le ratio de liquidité les dépôts vont être comptabilisés. Mais si les dépôts des particuliers devraient être comptabilisés tels quels, les dépôts des entreprises devraient subir un coefficient de déflation lié au fait qu’on les juge moins stables que ceux des particuliers. «C’est une affirmation qui découle de ce que l’on voit aux Etats-Unis et que l’on ne vérifie pas en Europe. A chaque fois que les banques auront des dépôts des entreprises dans leur bilan, ce sera plus coûteux en termes de ratio. Elles seront donc incitées à avoir une activité plus tournée vers les particuliers et moins tournée vers les entreprises» avance Mme Obolensky.

Un phénomène de course aux dépôts et de guerre des rémunérations pourrait alors en découler.

Enfin, un autre ratio mis en place plus tardivement en 2019 concernant la transformation des banques (activité qui consiste à transformer de l'épargne à court terme en prêts à long terme) devrait poser problème. «Si ce ratio était adopté dans sa forme actuelle, il serait extraordinairement rédhibitoire pour l’activité de transformation des banques. Cela les conduirait à sortir de l’activité de prêt à long terme, et à rechercher systématiquement à titriser. La titrisation n’est pas forcément un mauvais mode de financement comme on a pu le dire. Cependant c’est un modèle très différent de ce que l’on peut connaître en Europe continentale, surtout en France. J’ai la faiblesse de croire que le modèle qui consiste à ce que les banques gardent les risques longtemps dans leur bilan est un modèle qui a sa vertu car il assure une convergence d’intérêts à long terme entre la banque et son client. Je ne suis pas sûre qu’un système qui rompe ce lien soit très positif pour l’ensemble de l’économie».

Des évaluations sur les impacts économiques des règles de Bâle sont en principe envisagées. La Fédération bancaire française espère fortement qu’à l’issue de ces évaluations, les parties les plus contestables des nouvelles dispositions seront modifiées.
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