BRUXELLES/VARSOVIE/MOSCOU (Reuters) - La France a prévenu lundi la Russie que l'Otan était prête à défendre la souveraineté de l'Ukraine, après que l'Alliance a rapporté des mouvements militaires russes près de la frontière ukrainienne, alors que les puissances occidentales tentent de régler la crise migratoire aux portes de l'Union européenne.

Tandis que des milliers de migrants sont bloqués dans le froid dans des forêts biélorusses frontalières de la Pologne, pays membre de l'UE, les Vingt-Sept sont convenus lundi d'imposer un nouveau train de sanctions contre Minsk, accusé d'alimenter la crise migratoire, dans un climat déjà tendu avec Bruxelles depuis la répression violente des manifestations antigouvernementales en Biélorussie.

La Biélorussie, alliée de Moscou, a dénoncé comme "absurdes" les accusations occidentales selon lesquelles elle favorise les flux de migrants à la frontière polonaise en guise de représailles aux sanctions imposées par l'UE pour la répression des manifestations contestant la réélection du président Alexandre Loukachenko l'an dernier.

De premières vagues de migrants, originaires pour la plupart d'Irak et d'Afghanistan, ont commencé cette année à se réunir en Biélorussie, aux portes de l'UE, avec l'objectif de rejoindre des pays membres du bloc communautaire - Pologne, Lituanie, Lettonie - via des routes encore inexploitées jusqu'alors.

Au cours d'une journée marquée par les échanges multiples entre les puissances occidentales et la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine, le président français Emmanuel Macron a exprimé auprès de son homologue russe Vladimir Poutine sa "préoccupation forte" sur la situation à la frontière ukrainienne.

Les deux dirigeants sont convenus aussi lors d'un entretien téléphonique de la nécessité d'une désescalade des tensions à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, a rapporté l'Elysée, indiquant qu'il n'y avait eu "aucune convergence" sur l'origine de la crise migratoire.

"INHUMAIN"

Le Kremlin a rejeté les accusations des Etats-Unis selon lesquelles la crise migratoire en Biélorussie était une manoeuvre de la Russie pour détourner l'attention de ses mouvements militaires à la frontière ukrainienne. Moscou nie toute implication dans les flux de migrants.

Washington a dit être en contacts étroits avec ses alliés européens afin de tenir pour responsable le gouvernement biélorusse.

Alexandre Loukachenko s'est entretenu lundi par téléphone pendant une cinquantaine de minutes avec la chancelière allemande Angela Merkel, ses premiers échanges avec un dirigeant occidental depuis sa réélection contestée en août 2020.

Les échanges ont concerné la "situation difficile" à la frontière polonaise et la nécessité d'apporter de l'aide humanitaire aux réfugiés et migrants, a fait savoir le porte-parole du gouvernement allemand.

Réunis à Bruxelles dans la journée, les ministres des Affaires étrangères de l'UE sont convenus d'adopter une nouvelle série de sanctions contre la Biélorussie, a annoncé le chef de la diplomatie européenne, précisant que ces mesures seraient finalisées dans les jours à venir et viseraient des personnes physiques et morales.

Josep Borrell avait déclaré plus tôt que les sanctions seraient élargies aux compagnies aériennes, aux agences de voyages et aux différents acteurs impliqués dans le transfert de migrants.

"Ce système inhumain d'utiliser des migrants comme des outils de pression contre l'Union européenne (...) a empiré au cours des derniers jours", a déploré le ministre allemand des Affaires étrangères par intérim, Heiko Maas, promettant de sanctionner les responsables de ce qu'il a qualifié de "traite d'êtres humains".

CRAINTE D'UN CONFLIT ARMÉ

Depuis plusieurs jours, les migrants, au désespoir croissant, tentent de forcer la clôture de la frontière polonaise en différents points. Varsovie a rapporté jusqu'à présent quelque 5.100 tentatives d'entrées illégales depuis la Biélorussie en novembre.

La Lettonie a annoncé avoir déployé 3.000 soldats dans le cadre d'un exercice militaire à la frontière avec la Biélorussie.

Une enquête de Reuters a établi que des agences de voyage du Proche-Orient ont collaboré avec des opérateurs de tourisme biélorusses afin de fournir des visas touristiques à des milliers de personnes ces derniers mois.

A Minsk, le ministère des Affaires étrangères a dénoncé comme "absurdes" les accusations selon lesquelles la Biélorussie orchestre la crise migratoire, tandis qu'Alexandre Loukachenko a assuré que les migrants restaient sourds aux demandes de la Biélorussie de rentrer chez eux.

Le président biélorusse a par ailleurs promis des représailles à toute nouvelle sanction européenne.

L'UE a appelé Vladimir Poutine, le plus puissant allié de Minsk, à faire pression sur son homologue biélorusse pour que celui-ci arrête de mettre en danger la vie de migrants dans le cadre de ce conflit géopolitique.

Le Kremlin a fait savoir que le président russe s'était entretenu dimanche avec Alexandre Loukachenko et que Moscou ne prévoyait pas de dérouter les livraisons de gaz vers l'Europe malgré la menace de la Biélorussie de les couper.

Les tensions se sont accentuées ces derniers jours avec le rassemblement de milliers de migrants dans des camps de fortune du côté biélorusse de la frontière avec la Pologne.

Au moins huit personnes ont trouvé la mort le long de la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, certains ayant succombé au froid et à la fatigue.

Bruxelles a exhorté Varsovie à permettre l'acheminement d'aide humanitaire à la frontière, où sont déployés quelque 20.000 membres des forces de l'ordre polonaises.

Les pays baltes membres de l'UE - Lituanie, Lettonie et Estonie - ont dit craindre de voir cette crise dégénérer en un conflit armé.

(Reportage by Robin Emmott, Sabine Siebold, Gabriela Baczynska, Pawel Florkiewicz et Andrius Sytas, Philip Blenkinsop, Maria Kiselyova, Dmitry Antonov, Tom Balmforth, Michel Rose; version française Myriam Rivet et Jean Terzian, édité par Nicolas Delame)

par Sabine Siebold, Andrius Sytas et Gabriela Baczynska