* Derrière la présidentielle, les législatives

* L'enjeu est de taille pour le FN

* Même avec Le Pen à l'Elysée, pourra-t-il gouverner ?

* Des différences d'approche au parti

par Simon Carraud

PARIS, 8 janvier (Reuters) - A moins de quatre mois de la présidentielle française, se pose pour le Front national l'épineuse question de sa capacité à bâtir autour de lui une majorité à l'Assemblée nationale en cas de victoire au mois de mai. Et donc à gouverner.

Selon les connaisseurs des logiques électorales, il paraît aujourd'hui difficile d'imaginer un raz-de-marée frontiste aux législatives du mois de juin, même après un hypothétique succès de Marine Le Pen en mai prochain.

Les dirigeants du parti d'extrême droite sont donc contraints de réfléchir à la conclusion d'alliances qui leur permettraient de sortir de leur isolement.

Sans quoi Marine Le Pen, seule dans son palais de l'Elysée et dépossédée de la plupart des pouvoirs, pourrait être vouée à une cohabitation avec un gouvernement issu d'une majorité hostile.

"Parce que cela aura (...) un impact considérable sur la façon dont la France sera dirigée, j'anticipe la façon dont peut se construire le rassemblement", a-t-elle déclaré mercredi, lors de ses voeux à la presse.

"Je tiens beaucoup à ce que la grande recomposition politique qui accompagnera cette élection soit l'occasion de rassembler une majorité présidentielle", a ajouté Marine Le Pen, pour qui des personnalités pourraient se rallier avant, pendant ou après la présidentielle d'avril-mai.

"Quelle que soit leur famille politique d'origine", a-t-elle précisé.

Car l'eurodéputée dit ne pas croire à une union des droites, qui irait d'une partie au moins des Républicains au Front national en passant éventuellement par des partis d'appoint.

"Un fantasme", balaie-t-elle dans un entretien au mensuel Causeur dans son numéro de janvier.

"Le problème des gens qui défendent cette idée, c'est que la droite refuse de s'allier avec nous. Or, même sous les socialistes, il faut être deux pour se marier !", explique-t-elle, précisant au passage qu'il lui importait peu que les transfuges viennent de tel ou tel camp.

HENRI GUAINO OU NICOLAS DUPONT-AIGNAN

En cela, la candidate officielle du parti diverge avec sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, qui regarde vers la droite et uniquement la droite.

En mars 2016, elle dressait une liste de personnalités Front nationalo-compatibles avec lesquelles pourraient se nouer des alliances et susceptibles d'entrer dans un gouvernement, parmi lesquelles les Républicains Henri Guaino, Jacques Myard, Thierry Mariani, Eric Ciotti ou, à l'extérieur de LR, les souverainistes Nicolas Dupont-Aignan et Philippe de Villiers.

D'autres voix, comme Robert Ménard, élu en 2014 à la mairie de Béziers avec le soutien du FN, plaident pour un rassemblement à la droite de la droite.

Le FN a déjà tenté de bâtir une structure censée abriter des formations alliées, le Rassemblement bleu marine, mais cette coalition fondée en 2012 n'a réuni qu'un seul autre véritable parti, le Siel, qui a fait sécession en novembre 2016.

Pour 2017, l'eurodéputé Florian Philippot imagine un "chamboulement" du paysage politique, qui conduirait à la reformation de deux blocs séparés par une nouvelle ligne de fracture: "mondialistes" d'un côté, "patriotes" de l'autre.

"Je pense à Dupont-Aignan et son mouvement, je pense aux gens qui aiment bien Henri Guaino, il se passe des choses dans la mouvance républicaine chevènementiste, il y a encore probablement des gaullistes sincères à l'UMP", affirme à Reuters ce proche de Marine Le Pen et vice-président du FN.

"QUASIMENT AUCUNE CHANCE"

"Je crois que la majorité qu'on fera aux législatives dépassera le Front national", poursuit l'eurodéputé, lui-même ex-soutien de Jean-Pierre Chevènement.

Un scénario qui laisse les spécialistes dubitatifs.

"Dans l'hypothèse d'une victoire à la présidentielle, il y aurait une surmobilisation du vote utile et du front républicain aux législatives de juin. Les dernières régionales ont montré que cette logique fonctionne encore", analyse Sylvain Crépon, chercheur en sciences politiques à l'université de Tours.

En décembre 2015, les listes FN ont viré en tête dans six régions, avec des scores tournant parfois autour de 40%, mais n'ont pas réussi à remporter la moindre région en raison de la mécanique des reports de voix et des désistements à gauche.

Pour cette raison, une victoire du FN lui paraît "encore plus compliquée" aux législatives qu'à la présidentielle, y compris avec l'appui ponctuel de personnalités.

"Quelle que soit l'hypothèse, le FN n'a quasiment aucune chance d'être en mesure de gouverner", abonde Thomas Ehrhard, maître de conférence en sciences politiques à l'université Panthéon-Assas, selon qui l'"effet d'entraînement" de la présidentielle ne saurait suffire.

"L'effet d'entraînement ne permettrait pas de passer d'une poignée de députés, une trentaine au maximum, en cas de défaite à la présidentielle, à 289 dans l'hypothèse d'une victoire", évalue-t-il. "Le gap est trop grand."

Et, toujours selon lui, d'éventuels ralliements ne pourraient pas changer la donne : "Dans la perspective de gouverner, il pourrait y avoir 50 ralliés venus de droite que la situation ne changerait pas pour le FN. Il a besoin d'obtenir 287 sièges de plus qu'actuellement."

Une problématique à laquelle pourrait être confronté un autre candidat aujourd'hui isolé sur l'échiquier politique : Emmanuel Macron. (Edité par Yves Clarisse)